Rédigé par
Levi De Feyter & Jonas Baert
Senior Estate Planners
La réglementation évolue rapidement. Nous estimons donc qu’il est essentiel de partager cette information avec vous.
Découvrez les auteurs de cet article :
Levi (33 ans) est diplomé en planification successorale et financière et est également titulaire d'un Master en gestion patrimoniale et successorale. Il a plus de 10 ans d’expérience en fiscalité de planification patrimoniale et se concentre principalement, chez Deutsche Bank, sur les aspects civils et fiscaux de la planification patrimoniale familiale. D'autre part, Levi enseigne également à l’Antwerp Management School. Durant son temps libre, il aime lire et marcher.
Jonas (30 ans), athlète passionné et voyageur actif, est titulaire d’un baccalauréat professionnel en fiscalité appliquée et d’une maîtrise en gestion de patrimoine et de successions. Avec ces diplômes en poche, il possède déjà près de 10 ans d’expérience en droit fiscal et en planification patrimoniale, avec – tout comme Levi – une spécialisation dans les domaines civil et fiscal.
Le 1er septembre 2014, le citoyen belge a eu pour la première fois la possibilité, via un document, d’autoriser un ou plusieurs membres de sa famille (par ex. un conjoint, un partenaire, un enfant) ou une personne de confiance à gérer son patrimoine s’il ne devait plus être en mesure de le faire lui-même. Ce document est depuis lors mieux connu sous le nom de mandat extrajudiciaire et il s’agit, selon nous, d’un instrument incontournable dans le cadre d’une planification patrimoniale bien réfléchie.
"Avec le mandat extrajudiciaire, le mandant autorise un ou plusieurs membres de sa famille à gérer son patrimoine s’il ne devait plus être en mesure de le faire lui-même."
1. Pourquoi avoir recours à un mandat extrajudiciaire ?
L’établissement d’un mandat extrajudiciaire aide toute personne à se préparer pour le jour où elle ne serait plus en mesure de gérer son patrimoine en raison d’une incapacité temporaire ou non, d’exprimer sa volonté ou d’agir. En prévoyant des instructions spécifiques dans le mandat extrajudiciaire, il est possible de s’assurer de la continuité de la gestion et de l’intégrité de son patrimoine, et ce, sans qu’une intervention judiciaire (le juge de paix) soit nécessaire.
Le mandat extrajudiciaire procure au mandant une grande latitude dans l’établissement des instructions dont le mandataire doit tenir compte. Le mandant a, par exemple, la possibilité de stipuler que son patrimoine immobilier mis en location ne peut pas être vendu ou que sa stratégie d’investissement ne peut pas être modifiée. En outre, le mandant peut révoquer à tout moment le mandat extrajudiciaire tant qu’il est capable d’exprimer sa volonté, ce qui en fait dès lors un instrument de planification très flexible.
"Un mandat extrajudiciaire permet la poursuite de la gestion de son patrimoine et la préservation de son intégrité, sans intervention d’un juge de paix."
2. À quelles conditions un mandat extrajudiciaire doit-il répondre pour être valable et peut-on l’établir soi-même ?
Le mandat extrajudiciaire doit avoir pour but de régler une protection extrajudiciaire et il doit être enregistré dans le Registre central des contrats de mandat. Si le mandant devient effectivement incapable d’exprimer sa volonté, le mandat extrajudiciaire est valable uniquement en cas d’enregistrement avant la survenance de son incapacité. À défaut d’enregistrement préalable, le mandat extrajudiciaire prend fin au moment où survient l’incapacité - ce qui, dans la plupart des cas, réduit à néant l’intérêt de mettre en place un mandat extrajudiciaire.
Le mandat extrajudiciaire ne doit pas nécessairement être établi par un notaire. Il est possible de recourir à un acte sous seing privé. Toutefois, si la volonté est d’autoriser également le mandataire à vendre des biens immobiliers ou à réaliser des donations (ou d’autres actes requérant l’intervention d’un notaire), il est nécessaire de faire établir le mandat extrajudiciaire par un notaire.

3. Qu’est-il recommandé d'inclure dans le mandat extrajudiciaire ?
Quand le mandat extrajudiciaire prend-il effet?
En tant que mandant, il est possible de choisir le moment de l’entrée en vigueur de son mandat extrajudiciaire. La plupart des mandats extrajudiciaires prévoient une entrée en vigueur lorsque le mandant se retrouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté ou d’agir. Toutefois, une entrée en vigueur immédiate du mandat extrajudiciaire est une option, il continue alors à sortir ses effets au moment où le mandant devient effectivement incapable d’exprimer sa volonté. De cette manière, le mandant reste habilité à gérer lui-même son patrimoine, mais son mandataire peut déjà reprendre certaines tâches.
En outre, le mandant peut déterminer lui-même la manière dont son mandataire doit faire constater une incapacité d’exprimer une volonté. Il est souvent requis à ce sujet de la part du mandant que ce constat d’incapacité soit établi sur la base de deux rapports médicaux distincts rédigés par deux médecins indépendants arrivant à la même conclusion.
Quand le mandat extrajudiciaire prend-il fin ?
En principe, le mandant a toujours la possibilité de révoquer son mandat extrajudiciaire, à condition d’être encore en état d’exprimer sa volonté à ce moment-là.
Le mandataire, de son côté, est lui aussi habilité à mettre fin à tout moment au mandat extrajudiciaire s’il ne peut ou ne veut plus poursuivre cette mission. Si aucun mandataire successeur n’est prévu dans le mandat extrajudiciaire, le mandataire doit en informer le juge de paix. Ce dernier désigne alors un remplaçant, mais en attendant, le mandataire démissionnaire doit en principe poursuivre son mandat.
Enfin, le juge de paix peut toujours résilier totalement ou partiellement un mandat extrajudiciaire, non seulement s'il estime qu’il ne répond plus aux intérêts du mandant, mais également s’il est d’avis qu’une protection judiciaire servirait mieux les intérêts du mandant.
Qui désigner comme mandataire(s) ?
Le choix d’un mandataire – la personne qui gère le patrimoine du mandant lorsqu’il n’est plus en état de le faire – est bien sûr une décision importante. Il est également recommandé de prévoir un successeur à son mandataire si ce dernier se retrouvait lui-même dans l’incapacité d’exprimer sa volonté ou souhaitait mettre fin à son mandat.
Désigner plusieurs mandataires est une option appartenant au mandant. Dans certaines situations, une collaboration entre deux (ou plus) mandataires présente assurément une valeur ajoutée. Toutefois, cela peut aussi être une source de conflits en cas de divergence de points de vue, mais uniquement si le mandat extrajudiciaire ne comporte pas d'instructions claires. Si l’un des mandataires n’était pas d’accord avec certaines décisions, il pourrait solliciter le juge de paix qui, dans ce cas, pourrait éventuellement faire basculer le mandat extrajudiciaire vers une protection judiciaire et désigner un administrateur provisoire (externe).
L’établissement sur mesure du mandat extrajudiciaire est souvent la solution dans ce cas, ainsi que pour d’autres points délicats. Il est en effet tout à fait possible de répartir les compétences des mandataires en fonction des actes visés. Par exemple, pour des questions d’ordre professionnel, le mandant désigne son associé comme mandataire, tandis que pour des questions d’ordre privé, il nomme son conjoint (ou son enfant).
Des conflits d’intérêts entre le mandant et le mandataire sont toujours possibles, en particulier si le mandataire appartient au cercle familial restreint du mandant. En cas de conflit d’intérêts, le mandataire est bien sûr empêché d’agir lui-même. Un mandataire conjoint (ou enfant) ne peut, par exemple, pas se faire une donation à lui-même. Ce point ne doit toutefois pas constituer un problème non plus. En effet, afin de pallier ces conflits d’intérêts éventuels dans le chef du mandataire, il convient de nommer un mandataire ad hoc dans son mandat extrajudiciaire. Si le mandant ne le fait pas, le juge de paix doit être consulté pour désigner un tel mandataire ad hoc.
4. Que peut-on régler avec un mandat extrajudiciaire ?
Il est possible d’établir un mandat extrajudiciaire général ou particulier, aux termes duquel le mandataire pourrait poser à la fois des actes de gestion (paiement de factures, encaissement de loyers, ...) et des actes de disposition (achat ou vente de biens immobiliers, etc.).
Alors que les actes de gestion visent essentiellement la préservation d’un patrimoine, les actes de disposition peuvent toucher à l’intégrité de celui-ci (par exemple la vente de la maison familiale). Afin de maîtriser cet aspect, l’établissement d’un mandat spécifique permet de limiter strictement les actes autorisés au mandataire.
Plus la formulation du mandat judiciaire est vague, plus le mandataire dispose d’une grande marge de manœuvre. Une simple énumération des actes autorisés ne suffit généralement pas. Pour cette raison, il est recommandé de formuler des directives précises dans le mandat extrajudiciaire afin de permettre au mandataire de poser également des actes de disposition spécifiques, notamment des donations.
En outre, il est tout à fait possible d’exclure certains actes de gestion et disposition. Quoi qu'il en soit, plus les directives sont concrètes, plus le mandataire sait précisément ce qu’il peut faire ou pas. Le mandant a, par exemple, la liberté d’indiquer que la maison familiale ne pourra jamais être vendue de son vivant, ou encore que la vente d’un bien immobilier requiert l’accord de tous ses enfants.

5. Pas pour des actes hautement personnels
Grâce à quelques modifications législatives récentes, le mandat extrajudiciaire est devenu un instrument de planification patrimoniale encore plus performant. Le champ d’application du mandat extrajudiciaire a été élargi depuis le 1er mars 2019. Cette modification permet, outre des actes se rapportant au patrimoine, d’ajouter des actes de représentation relatifs à la personne du mandant. Ce n’était pas possible précédemment. Cela ne signifie toutefois pas que tout est réglé dans un seul document. Le mandat extrajudiciaire concerne des actes relatifs aux personnes, mais pas des actes hautement personnels.
Qu’est-ce qui est possible ?
Le mandant a, par exemple, la possibilité de prévoir le choix d’une maison de repos lorsque son maintien au domicile n’est plus adéquat ou l’aménagement de la maison en vue de prodiguer au mandant des soins adaptés. Le mandant peut également indiquer le mandataire comme étant habilité à agir en tant que représentant de ses droits en tant que patient, etc.
Qu’est-ce qui n’est pas possible ?
Le mandant le souhaitant vraiment complète le mandat extrajudiciaire en y reprenant des déclarations médicales spéciales (en matière d’euthanasie, de soins palliatifs, de déclaration en matière de transplantation d’organes, etc.). Le mandataire ne peut toutefois faire aucune de ces déclarations hautement personnelles pour le mandant, mais peut uniquement exécuter, en tant que représentant, une déclaration faite précédemment par le mandant.
6. Le mandat extrajudiciaire dans un contexte international
Il était prévu que la Loi de mise en œuvre de la Convention de La Haye du 13 janvier 2000 entrerait en vigueur le 1er janvier 2020. Toutefois, le 20 décembre de l’année passée, cette entrée en vigueur a été reportée à « une date devant être fixée par le Roi et au plus tard le 1er janvier 2021 ».
Nous attendons avec impatience l’entrée en vigueur de cette loi car elle donne la possibilité d’inclure un choix de la loi applicable dans le mandat extrajudiciaire. Dans les situations transfrontalières, le choix de la loi applicable apporte de la sécurité juridique concernant le droit applicable au mandat extrajudiciaire qui est établi, indépendamment d’un éventuel déménagement à l’étranger.
"Un mandat extrajudiciaire établi sur mesure est un instrument particulièrement utile et efficace pour une personne afin de régler sa planification patrimoniale au moment où elle n’est plus en état d’exprimer sa volonté."
7. Conclusion
Un mandat extrajudiciaire constitue un instrument incontournable dans l’élaboration d’une planification patrimoniale familiale. Le mandataire peut, grâce au mandat extrajudiciaire, poser des actes bien précis au nom du mandant, comme par exemple exécuter une donation (notariée) ou faire supprimer une clause désavantageuse dans le contrat de mariage afin d’éviter d’éventuels scénarios négatifs et fiscalement onéreux en cas de décès imminent.
Bref, le mandat extrajudiciaire permet, de manière simple et discrète, d’organiser la gestion du patrimoine du mandant au cas où il se trouverait - de façon temporairement ou de façon permanente - en état d’incapacité et ce, sans que l’intervention d’un juge soit nécessaire.
Dans le prochain article : Le legs en duo
Les personnes célibataires n’ayant plus de famille proche souhaitent souvent qu'à leur décès, leur succession revienne à un ami ou à des membres plus éloignés de la famille. Mais pour ces catégories de bénéficiaires, les droits de succession sont très élevés. Afin de les réduire quelque peu, la technique du legs en duo est parfois utilisée. Cette technique est toutefois actuellement sous pression en Région flamande. Vous pourrez en lire plus à ce sujet dans notre prochain article.
Vous souhaitez en savoir plus ?
N’hésitez pas à poser vos questions ou à parler de vos projets de planification patrimoniale en prenant contact avec votre conseiller, notaire et/ou le service « Estate planning - Private Banking » de Deutsche Bank.
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Cet article ne constitue pas un avis fiscal ou juridique. Le traitement fiscal dépend de la situation individuelle du client et est susceptible de changer à l'avenir. Lorsqu'il est fait référence à un régime fiscal, il doit être entendu comme le régime fiscal applicable à un client retail moyen en qualité de personne physique résidente belge.