Accepter le chaos comme instrument stratégique

Marchés & Investissements - 4 juillet 2025

« J’adore quand un investisseur me dit : ça, je déteste ! »

Interview avec Yoann Ignatiew de Rothschild & Co

Dans un monde où les benchmarks dictent leur loi aux gestionnaires et où les investisseurs se laissent entraîner par les chimères du jour, Yoann Ignatiew (Rothschild & Co) suit sa propre étoile : la curiosité. Depuis plus de 30 ans, il fuit tout ce qui est 'à la mode', pour mieux se concentrer sur la discipline, la flexibilité et l'ouverture d'esprit.

Yoann Ignatiew est né au Maroc, d'un père d'origine russe. Il a ensuite vécu quelques années au Canada, avant de s'installer en France pour y étudier et lancer sa carrière. D'emblée, il souligne à quel point la diversité de ces racines a influencé sa vision du monde, et des investissements. « Quand on a vit quelques années sur trois continents différents, on acquiert certains atouts fondamentaux », commence-t-il. « On développe non seulement une capacité d'adaptation, mais aussi l'insatiable curiosité de découvrir d'autres modes de pensée. Quand j'étais enfant, apprendre à voir le monde autrement n'était pas un objectif conscient. Cela s'est imposé à moi, en quelque sorte. »

La curiosité comme base de la philosophie d’investissement

Les pérégrinations de Yoann Ignatiew ont aussi inspiré sa philosophie de l'investissement. Une vision qui ne se résume pas à quelques clivages géographiques ni à une poignée de 'principes' plutôt conventionnels. Notre interlocuteur a commencé sa carrière dans le commerce d'obligations, notamment chez Morgan Stanley, où il a travaillé pendant 7 ans. Il est ensuite passé par les actions, avant d'aboutir dans le monde merveilleux de la gestion de patrimoine. C'est là qu'il a peaufiné sa vision de l'allocation des actifs : une approche qui conjugue la structure de la gestion institutionnelle au pragmatisme de l'investisseur de détail. Son expérience l'a ensuite conduit à la Banque Privée Saint Dominique, en qualité de responsable des investissements et de l'allocation des actifs. C'est en 2008 qu'il a rejoint Rothschild & Co, où il est toujours actif aujourd'hui.

« À mes yeux, investir n'est pas seulement une question de secteurs ou de classes d’actifs », explique-t-il. « Investir, c'est fusionner tout ce que vous avez appris au cours de votre chemin, tout en restant ouvert à de nouvelles formes de création de valeur. La curiosité est une exigence absolue dans ce monde. Je m'efforce d'élargir ma pensée en permanence. Je refuse de m'engoncer dans un rôle et faire tout le temps la même chose. »

Réfléchir à contre-courant

Une des caractéristiques marquantes de la philosophie de l'investissement de Yoann Ignatiew réside dans sa capacité à réfléchir à contre-courant. « J'adore quand un investisseur me dit : ‘Ça, je déteste !’ », dit-il, non pour provoquer, mais pour énoncer un point crucial : les marchés moins prisés abritent souvent de la valeur cachée. Ainsi, Yoann Ignatiew prend depuis plusieurs années des positions substantielles dans des marchés qui sont systématiquement snobés par nombre d'investisseurs. « Prenez le Canada, par exemple. On a souvent tendance à oublier à quel point ce pays est riche en matières premières, en mines d'or et même en industries. Depuis quelques années, le Canada nous fait gagner des fortunes. Tout revient à comprendre le micro dans le grand tableau macro. »

Son approche de la Chine illustre aussi cette philosophie. Ces dernières années, de nombreux investisseurs se sont désengagés du marché chinois. Par crainte d'un renforcement de la réglementation et des incertitudes économiques, certains gestionnaires de fonds ont été jusqu'à qualifier la Chine de 'non investissable'. Yoann Ignatiew a pris le contrepied de cette tendance dominante. « Pourquoi diable rayerait-on de son univers d'investissement la deuxième économie au monde, où vivent, travaillent et consomment 1.400.000.000 personnes ? », argumente-t-il. « L'investissement en Chine peut en outre être approché via différents biais : par le continent, par Hong Kong ou par des ADR1 qui se traitent aux États Unis. Sans même parler des secteurs, des thèmes, des entreprises... »

Sa vision granulaire de l'investissement – scinder de vastes régions géographiques en entreprises, devises et secteurs spécifiques – atteste d'une grande finesse d'analyse, aux antipodes de ses assertions volontairement simplistes.

Volatilité rime avec opportunités

Alors que la majorité des investisseurs redoute la volatilité2 comme la peste, Yoann Ignatiew a appris à transformer le chaos en outil stratégique. Une de ses qualités les plus marquantes réside dans sa capacité à voir la volatilité non comme un risque, mais comme une source d'opportunités. « La volatilité n'est pas notre ennemie. Elle est notre amie… à condition d'y être préparé », affirme-t-il.

Un exemple. En avril 2025, lorsque les bourses se colorent de rouge foncé et que le VIX3 franchit la barre des 50, Yoann Ignatiew et son équipe entrent en action. « Quand la panique mène à des ventes non réfléchies, des opportunités se créent pour qui sait se montrer patient. La clé consiste à agir quand les autres sont paralysés par l'angoisse, tout en continuant à faire preuve de discipline dans l'évaluation des positions. »

« Nous avons un ‘plan de bataille’. Nous connaissons nos niveaux et nos points de déclenchement, et nous agissons en conséquence. » Selon Yoann, cette flexibilité découle en ligne droite de la compacité et de la mentalité de l'équipe. « Il ne s'agit pas seulement de réagir vite, mais aussi de combiner discipline et autonomie. Chez nous, il n'est pas nécessaire de se réunir à 25 pour décider de la réallocation de 2% d'un portefeuille. »

Duopoles

Les duopoles sont l'autre cheval de bataille de Yoann Ignatiew. On qualifie de ‘duopole’ un marché dominé par deux entreprises seulement, qui influent considérablement sur les prix et sur la concurrence. Comme Airbus et Boeing4 , qui contrôlent le marché des avions commerciaux. Pour se lancer dans ce secteur, les nouveaux acteurs doivent surmonter des obstacles colossaux : la sophistication technologique, la hauteur du seuil d'accès au marché et une clientèle internationale. « Quand il y a duopole, il y a souvent entente sur les prix », explique-t-il, avant de nuancer son propos.

« L'exemple de Pernod-Ricard et de Diageo4 illustre à la fois la puissance et les périls d'un duopole. Bien que ces deux groupes dominent le marché mondial des spiritueux, leur capacité de fixation des prix dépend fortement de l'évolution de la demande sous-jacente. Quand on observe ces deux entreprises, on voit que, en l'absence de croissance de la consommation, la capacité de fixation des prix n'est pas la même, et ce malgré le duopole. »

Yoann Ignatiew recherche donc des duopoles caractérisés bien sûr par une maîtrise partagée d'un marché, mais aussi par une demande soutenue. « C'est dans un tel contexte que se dégagent des avantages cumulés susceptibles de générer pendant plus longtemps des rendements supérieurs. »

Géopolitique : vraiment alarmant ?

Dans un monde en proie aux conflits, aux droits d'importation et à l'instabilité politique, le regard que porte Yoann Ignatiew sur la géopolitique est étonnamment serein. « Vous vous souvenez de ce qui s'est passé il y a 19 ans, en juin 2006 ? Non ? Vous n'êtes pas le seul. Les marchés ont dévissé de 8% lorsque CNN a annoncé l'entrée des chars israéliens au Liban », explique-t-il. « Aujourd'hui, cette info ferait à peine frémir les indices. Les marchés ont appris à dissocier l'émotionnel des facteurs fondamentaux. »

« Cette observation vaut pour les tensions actuelles. Regardez l'Ukraine, la Russie et l'Iran. Ces conflits ont bien sûr un certain impact mais, honnêtement, il devient difficile pour un gestionnaire de fonds d'en tirer avantage. La réaction très 'soft' des marchés à la récente escalade entre l'Iran et Israël illustre cette tendance : une légère baisse le vendredi, suivie d'un rétablissement dès le lundi. Certes, il est toujours possible que les marchés sous-estiment l'impact d'un événement. Mais la tendance à se réfugier aux abris au moindre coup de canon est de moins en moins présente. »

Les choix de Yoann Ignatiew sont le reflet de cette vision nuancée. Il ne considère pas l'or – traditionnellement perçu comme une valeur refuge en période d'instabilité – comme un extincteur contre les poudrières géopolitiques, mais comme une source de diversification. « C'est un des rares actifs à n'être que très marginalement corrélé5 à d'autres investissements », affirme-t-il. « C'est précisément la raison pour laquelle sa présence dans un portefeuille s'impose, indépendamment de toute considération géopolitique. Pour moi, l'or n'est pas une question de rendement, mais d'optionalité. »

Bâtir la confiance

Les préceptes les plus précieux de Yoann Ignatiew ne concernent toutefois pas la théorie de gestion d'un portefeuille, mais la relation avec le client. Sa clientèle ne se compose pas d'une poignée de grands acteurs institutionnels, mais bien de milliers de particuliers disséminés dans toute l'Europe et particulièrement en Belgique. « En 2016, en 1 mois, nous avons perdu 20% de nos actifs belges lorsque les marchés se sont effondrés. Aujourd'hui, face à des événements identiques, ce recul serait à peine de 1%. Pourquoi ? Parce que nous avons instauré la confiance. Nous ne sommes jamais la valeur vedette de l'année. » Yoann Ignatiew attribue cette qualité à la constance, à la visibilité et à la transparence. « Nous passons beaucoup de temps à voyager. Nous discutons intensivement avec nos distributeurs. Ils savent très bien que nous ne vendrons pas naïvement dans le creux de la vague. Ça change tout. »

Après 31 ans de bons et loyaux services, qu'est-ce qui pousse Yoann Ignatiew à continuer ? « La passion », sourit-il. « Quand les marchés tremblent sur leurs bases, je me sens encore comme un gamin qui reçoit un nouveau vélo. Ce sont ces moments qui donnent tout son sens à mon métier. Dans mon job, il faut être en permanence aux aguets. Il n'est pas possible de déconnecter totalement. Si vous n'êtes plus enthousiaste lorsque le chaos s'empare des marchés, si vous ne vous posez plus de questions, alors il est temps d'arrêter. » Pour Yoann Ignatiew, cette heure n'est pas encore venue.

Yoann Ignatiew en visite à Bruxelles

Le mois dernier, Deutsche Bank a accueilli Yoann Ignatiew, l'un des experts en investissements les plus réputés de Rothschild & Co, à l'occasion d'un événement exclusif à TheMerode (Bruxelles). Au cours d'une session captivante et conviviale, Yoann Ignatiew a fait part, à un public choisi, de sa vision de la dynamique actuelle des marchés.

Cet événement a également illustré l'esprit d'ouverture de Deutsche Bank. Bien que Deutsche Bank possède avec DWS un des plus grands gestionnaires de patrimoine en Europe, nous avons choisi de collaborer activement avec plus de 30 maisons de fonds externes. Pourquoi ? Parce qu'il est impossible, pour une institution financière, d'être la meilleure toujours et en tout.

Au travers de cet événement, notre but n'est pas de mettre un produit en exergue, mais de présenter une expertise de niveau mondial. Rothschild & Co est un partenaire de longue date, que nous respectons et apprécions considérablement. Sa vision à long terme, son indépendance et la constance de ses performances sont parfaitement conformes au niveau de conseil et de qualité que nous souhaitons offrir à nos clients. Des soirées comme celles-ci sont davantage qu'un événement. Elles attestent de notre volonté de faire bénéficier nos clients de perspectives planétaires et des meilleures visions de l'investissement.

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Les prévisions sont fondées sur des suppositions, évaluations, avis subjectifs, analyses et modèles hypothétiques qui peuvent se révéler faux. Le présent article et les informations qu’il contient ne constituent en aucune manière un conseil en investissement.Les performances passées ne constituent pas un indicateur fiable des performances futures.

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1 Les American Depositary Receipts (ADR) sont des certificats négociables représentant des actions étrangères sur la bourse américaine. Ils permettent aux investisseurs d'investir plus facilement dans des sociétés situées en dehors des États-Unis sans avoir à acheter directement des actions étrangères.

2 La volatilité fait référence à la mesure et à la rapidité avec lesquelles le prix d’une action, d’une obligation, d’un fonds ou d’un indice, par exemple, évolue au fil du temps.

3 Le VIX, également connu sous le nom d'indice de la peur, est une mesure de la volatilité attendue sur le marché boursier américain, en particulier pour l'indice S&P 500. Le VIX reflète l'ampleur des fluctuations attendues par les investisseurs sur le marché boursier au cours des 30 prochains jours. Plus le VIX est élevé, plus les marchés sont incertains ou nerveux.

4 Le présent article et les informations qu’il contient ne constituent en aucune manière un conseil en investissement.

5 La corrélation de l'or fait référence à la manière dont le prix de l'or évolue par rapport à d'autres actifs, tels que les actions, les obligations ou le dollar. L'or est connu pour sa corrélation faible ou négative avec de nombreux investissements traditionnels, ce qui le rend intéressant en tant qu'outil de diversification dans un portefeuille.

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