La donation d’un portefeuille-titres avec réserve d’usufruit

Estate Planning & Fiscalité - 7 juin 2023

La donation d’un portefeuille-titres avec réserve d’usufruit

La donation notariée d’un portefeuille-titres avec réserve d’usufruit est un instrument prisé par les parents qui préparent leur succession et souhaitent transmettre d’une manière optimale une partie de leur patrimoine à leurs enfants tout en se protégeant mutuellement en cas de décès.

Prenons le cas de Diane et Alexandre, pensionnés et mariés en séparation de biens. Leurs deux enfants sont aujourd’hui bien installés dans la vie et ne manquent de rien, leurs parents les avaient à l’époque aidé à acquérir leur habitation.

A côté de leur maison, Alexandre et Diane disposent d’avoirs bancaires dont un portefeuille-titres à leurs deux noms, valorisé à 500.000 €.

Alexandre et Diane réfléchissent à leur succession. Ils sont partagés. D’une part, ils seraient enclins à faire une donation de leur portefeuille-titres à leurs enfants afin de réduire les droits de succession dus en cas de décès. D’autre part, ils souhaiteraient de leur vivant (1) maintenir leur niveau de revenus actuel et (2) éviter que les enfants puissent disposer du portefeuille-titres donné, mais aussi (3) continuer à prendre eux-mêmes les décisions de gestion de ce portefeuille, en concertation avec leur conseiller en investissement actuel. Enfin, à la suite du décès du premier d’entre eux, ils aimeraient protéger le survivant d’entre eux en lui permettant de conserver un confort de vie maximum.

Ils se demandent s’il est possible de combiner tous ces objectifs. Leur spécialiste en planification patrimoniale évoque la donation avec réserve d’usufruit comme piste de solution…Qu’en est-il ?

La donation avec réserve d’usufruit

La donation avec réserve d’usufruit

La donation notariée d’un portefeuille-titres avec réserve d’usufruit consiste à en transmettre la nue-propriété aux donataires. Ce type de donation rencontre les objectifs de protection exprimés par de nombreux parents. En effet, si, à un moment de leur vie, ils envisagent la transmission d’une partie de leurs avoirs financiers à leurs enfants, ils souhaitent néanmoins conserver certaines prérogatives sur ces biens, tels les revenus, la maîtrise ainsi que les pouvoirs de gestion. La donation de portefeuille-titres permet non seulement de combiner ces souhaits mais également de réduire les droits de succession dus au décès des parents.

1. Conserver les revenus

En tant qu’usufruitiers, les parents donateurs conservent le droit aux revenus réellement générés par le portefeuille-titres donné. En fonction de la composition du portefeuille-titres, ces revenus sont les dividendes d’actions individuelles ou de fonds d’investissement (les SICAVs par exemple) à distribution et/ou les coupons d’intérêts provenant d’obligations. Etant donné les fluctuations potentielles de ces revenus d’année en année, il est recommandé de prévoir une charge financière subsidiaire minimum au bénéfice des parents donateurs. Si une année, l’usufruit n’atteint pas un certain pourcentage (défini en fonction des taux d’intérêt du marché) du portefeuille donné, cette charge vient combler cette insuffisance de revenus. Il est possible de stipuler cette charge comme étant optionnelle et de l’indexer annuellement. Le cas échéant, cette charge financière s’avère intéressante lorsque le portefeuille-titres est composé en tout ou en partie de fonds d’investissement à capitalisation (ne distribuant aucun revenu).

Les plus-values réalisées sur les titres du portefeuille donné sont quant à elles, en principe, réinvesties dans le portefeuille-titres.

2. Conserver la maîtrise

Du vivant de leurs parents usufruitiers, les enfants nus-propriétaires ne peuvent pas disposer seuls de la pleine propriété du portefeuille donné. Il est en outre généralement prévu dans l’acte que les enfants n’ont pas non plus le droit de céder la nue-propriété du portefeuille-titres et ce, afin de préserver le caractère familial de l’opération tant que les parents usufruitiers sont vivants. Les parents sont donc assurés de conserver la maîtrise du portefeuille donné. Attention, en tant qu’usufruitiers, les parents ne peuvent, en principe, pas non plus disposer seuls de la propriété du portefeuille-titres donné, leurs enfants étant devenus (nus-)propriétaires de ce portefeuille-titres.

3. Conserver la gestion

Conformément au Code civil, lorsqu’un droit d’usufruit porte sur un ensemble déterminé d’éléments (on parle d’une « universalité »), tel un portefeuille-titres composé d’actifs financiers, l’usufruitier peut vendre un ou plusieurs de ces actifs financiers pour autant que cela contribue à la bonne administration du portefeuille-titres et à condition de le(s) remplacer par d’autres actifs financiers. En d’autres mots, l’usufruitier a le droit de vendre des titres composant le portefeuille grevé mais uniquement à des fins de gestion de ce portefeuille appartenant au nu-propriétaire et ce, dans l’intérêt commun des parties.

En cas de donation d’un portefeuille-titres avec réserve d’usufruit, les parents donateurs usufruitiers conservent donc le droit de le gérer. Cela leur permet, par exemple, de procéder à un arbitrage de titre (en vendre un pour en acheter un autre) au sein du portefeuille-titres ou de réinvestir le produit d’une échéance de titre dans un autre et ce, sur la base d’un profil d’investisseur préalablement défini.

Attention, il ne s’agit nullement pour les parents usufruitiers de vendre un ou plusieurs titres du portefeuille afin d’en consommer librement le produit, ni a priori de vendre le portefeuille-même dans sa totalité afin de se tourner vers d’autres types d’investissements.

Autres conditions, charges ou modalités accompagnant la donation

Autres conditions, charges ou modalités accompagnant la donation

Outre la réserve d’usufruit prévue au profit des parents donateurs, il est possible d’assortir la donation d’autres conditions, modalités et/ou charges. Il est notamment possible de prévoir une charge financière subsidiaire telle que décrite ci-dessus, un droit de retour conventionnel en cas de prédécès d’un enfant donataire, une interdiction dans le chef du ou des donataires de disposer de la nue-propriété du portefeuille (voir ci-dessus) ou de l’apporter à une communauté de biens ou à une quelconque indivision ou encore une couverture, sous certaines conditions, de frais exceptionnels encourus par les parents donateurs, tels des soins médicaux, des loyers de maison de repos, etc.

Et d’un point de vue fiscal ?

La réalisation d’une donation de portefeuille-titres avec réserve d’usufruit passe nécessairement par l’établissement d’un acte notarié, belge ou étranger. Cet acte devant être obligatoirement enregistré en Belgique, les droits de donation sont dus. Entre parents et enfants, ces droits s’élèvent à 3% (en régions flamande et de Bruxelles-Capitale) ou 3,3% (en région wallonne) et sont calculés sur la valeur de la pleine propriété du portefeuille donné. Si l’acte est passé devant un notaire belge, il se charge lui-même de faire enregistrer l’acte et de verser les droits à l’administration fiscale. Si l’acte est passé devant un notaire étranger, les parties elles-mêmes doivent s’en charger dans les 4 mois suivant la passation de l’acte. Dans la mesure où les droits de donation sont acquittés, des droits de succession ne sont définitivement plus dus au décès des parents donateurs sur le portefeuille donné, moment où les enfants en deviennent pleins propriétaires.

Dans la situation de Diane et Alexandre

Donner leur portefeuille-titres de 500.000 € avec réserve d’usufruit à leurs enfants offre donc à Diane et Alexandre la sécurité souhaitée de leur vivant. Ils conservent en effet les revenus de ce portefeuille dont leurs enfants ne peuvent disposer, ils continuent à gérer eux-mêmes ce portefeuille et tout cela, en réduisant les droits de succession dus par leurs enfants à leur décès.

Mais ce n’est pas tout, outre ces avantages, Diane et Alexandre désirent se protéger mutuellement au maximum à la suite du décès du premier d’entre eux.

La protection du conjoint donateur survivant

Imaginons qu’Alexandre décède quelques années après la donation. En tant que conjoint survivant, Diane recueillera-t-elle l’usufruit de la partie du portefeuille-titres appartenant à Alexandre et, dans l’affirmative, cet usufruit la protègera-t-il suffisamment ?

La loi prévoit actuellement deux mécanismes permettant au survivant des conjoints donateurs de bénéficier de l’usufruit d’un portefeuille-titres donné par le défunt au décès de celui-ci. Il s’agit de l’usufruit successif et de l’accroissement légal en usufruit. A côté de cela, un troisième mécanisme, cette fois conventionnel, consiste à prévoir dans l’acte de donation une clause spécifique permettant au conjoint survivant de bénéficier de cet usufruit, dite « clause d’accroissement conventionnel ».

Quel est le coût de ces trois mécanismes de protection du conjoint survivant en droits de succession ?

Pour ce qui est de l’usufruit successif, les Régions Wallonne et de Bruxelles-Capitale n’ont à ce stade pris aucune disposition spécifique visant à prélever des droits de succession dans le chef du conjoint survivant bénéficiaire. La Région flamande a, quant à elle, expressément prévu de taxer l’usufruit successif recueilli par le conjoint survivant en droits de succession et ce, sauf exemption spécifique.

A l’heure actuelle, l’accroissement légal en usufruit ne fait l’objet d’aucune disposition légale permettant la taxation aux droits de succession, quelle que soit la région concernée.

Enfin, la clause d’accroissement conventionnel de l’usufruit entre parents donateurs prévue dans un acte de donation n’est, à ce jour, pas taxée en droits de succession, ni en droits de donation.

Le maître-choix pour Diane et Alexandre

Insérer dans l’acte de donation une clause d’accroissement conventionnel de l’usufruit s’avère être la solution la plus protectrice à l’égard de Diane à la suite du décès d’Alexandre. Diane est dans ce cas assurée de pouvoir continuer à jouir, sa vie durant et en toute tranquillité, de l’usufruit sur la totalité du portefeuille-titres après le décès d’Alexandre et ce, selon les mêmes modalités, conditions et charges prévues dans l’acte de donation. Cette solution ne génère en outre à l’heure actuelle aucune taxation, ni en droits de succession ni en droits de donation.

Toutefois, étant donné que les trois mécanismes de protection du survivant des donateurs sont susceptibles de s’appliquer à la situation de Diane et Alexandre, la question de l’articulation entre eux et de leur ordre de priorité se pose. Quel mécanisme de protection s’applique par priorité sur les autres ?

Cette question reste aujourd’hui débattue en doctrine mais une chose est sûre, si la clause d’accroissement conventionnel est bien prévue par le notaire de Diane et Alexandre dans l’acte de la donation de portefeuille-titres à leurs enfants, elle s’applique prioritairement aux deux autres mécanismes légaux et les empêche de sortir leurs effets. Leur objectif de protection mutuelle maximal est dans ce cas parfaitement atteint.

Le cas de Diane et Alexandre montre que la transmission d’un portefeuille-titres à la génération suivante et la protection entre parents donateurs peuvent se combiner de manière optimale au travers d’un acte de donation avec réserve d’usufruit. En effet, de leur vivant à tous les deux, les parents conservent des prérogatives importantes sur le portefeuille-titres donné telles que le droit aux revenus et les pouvoirs de gestion. A la suite du décès du premier d’entre eux, la clause d’accroissement conventionnel de l’usufruit assure au survivant, de son vivant, un degré de confort identique et une protection maximale.

Toute solution patrimoniale est nécessairement le fruit d’une réflexion globale autour de la situation, des objectifs propres des familles concernées ainsi que des implications civiles et fiscales. Il est recommandé de s’entourer de l’expertise de son notaire et de tout autre spécialiste en planification patrimoniale.

Vous voulez savoir ce que notre approche pourrait vous apporter ?

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