Les parents qui, au fil des années, se sont constitués un beau patrimoine mobilier peuvent souhaiter, à un moment donné, faire une donation à leurs enfants. Il peut s’agir pour les parents d’aider leurs enfants à réaliser un projet déterminé ou simplement d’anticiper leurs successions en réduisant les droits de succession dus à leur décès. Bien que la donation semble être facile à réaliser, les parents doivent tenir compte de différents aspects tant sur le plan civil, fiscal que psychologique.
Faits
Jean et Julie, respectivement 70 et 69 ans, sont mariés sans avoir rédigé de contrat de mariage. Durant leur mariage, ils se sont constitués un beau patrimoine mobilier en faisant fructifier leurs revenus professionnels. Ils disposent, entre autres, d’un portefeuille titres d’une valeur de 2.000.000 d’euros et de liquidités pour un montant de 400.000 euros. Jean et Julie ont 2 filles majeures, Anne et Elisabeth. Anne est célibataire. Elisabeth est mariée à Grégoire, ils n’ont pas rédigé de contrat de mariage. À la suite d’une querelle familiale, Jean et Julie n’ont plus de contact avec leur beau-fils. Ils n’ont jusqu’à présent rien entrepris en termes de planification patrimoniale.
Objectifs personnels
Tenant compte de leurs âges respectifs, Jean et Julie sont arrivés à la conclusion qu’ils pouvaient se passer d’une partie importante de leur patrimoine. Ils craignent en outre le niveau élevé des droits de succession que devraient payer leurs héritiers en cas de décès. Par conséquent, ils envisagent de réaliser une donation de la moitié de leur portefeuille titres (1.000.000 d’euros) à leurs filles. A côté de cela, ils souhaitent aussi aider Anne à acquérir un terrain à bâtir en lui donnant 100.000 euros. Jean et Julie trouvent important de conserver une égalité parfaite entre leurs filles et envisagent de donner ultérieurement le même montant à Elisabeth.
Jean et Julie se posent une série de questions : quels sont les avantages et inconvénients d’une donation ? Peuvent-ils encore jouir des revenus des titres donnés ? Que se passera-t-il au décès de l’un d’eux, le survivant aura-t-il encore droit aux revenus ? Quelle est la meilleure façon de donner ? Leur gendre Grégoire peut-il faire valoir un quelconque droit sur les titres donnés à leur fille Elisabeth ? Qu’advient-il de la donation en cas de prédécès d’une de leurs filles ?
Quels sont les avantages et inconvénients d’une donation ?
Donner à leurs filles est une étape importante dans la vie de Jean et Julie. La donation d’une partie du patrimoine constitué au fil des années est un acte définitif et irrévocable vis-à-vis de leurs enfants. C’est là le principal désavantage d’une donation. Contrairement au testament qui peut en principe toujours faire l’objet de modifications du vivant du testateur, les parents donateurs ne peuvent plus revenir sur la donation réalisée, sauf cas exceptionnel.
Cependant, un des avantages de la donation est certainement de permettre à l’enfant bénéficiaire de réaliser un projet précis du vivant de ses parents. Anne peut ainsi acquérir un terrain à bâtir grâce à ce qu’elle reçoit de ses parents. Elle ne doit pas « attendre » le décès de ses parents afin de concrétiser son projet.
Les parents ne donnent pas toujours à leurs enfants dans l’optique de réaliser un projet en particulier. Souvent, ils donnent dans le but de réduire les droits de succession à leur décès. Imaginons que Jean et Julie n’entreprennent rien de leur vivant, leur portefeuille titres et liquidités font partie de leur succession et sont soumis à des droits de succession. Les enfants et, le cas échéant, le conjoint survivant sont en effet redevables de droits de succession progressifs sur les biens qu’ils reçoivent dans la succession du parent ou conjoint défunt. En fonction de la région de résidence du défunt, les taux les plus élevés s’élèvent à 27% (région flamande) ou 30% (région wallonne et de Bruxelles-Capitale). Si en revanche, Jean et Julie donnent leur portefeuille titres à leurs filles, soit aucun droit de donation n’est applicable soit des droits de donation au taux forfaitaire réduit de 3% ou 3,3% sont applicables, ce en fonction de la région compétente à ce moment et de la forme de la donation (voir ci-dessous). Sauf exception, il n’y a en principe plus de droits de succession dus sur les biens donnés au décès des parents donateurs. Par ailleurs, du fait de la donation, le patrimoine existant au décès ultérieur des parents ainsi que les droits de succession dus s’en trouvent réduits. Bref, en donnant de leur vivant à un taux forfaitaire réduit, Jean et Julie peuvent réaliser d’importantes économies fiscales.
Il faut tenir compte des aspects psychologiques de la donation !
Surtout si les parents sont sur le point de transférer une part importante de leurs biens aux enfants, certaines émotions ou craintes peuvent surgir. Ceci est souvent ignoré ou négligé à tort. Les parents craignent parfois de donner trop, trop tôt et reportent donc le moment de la donation. Mais il apparaît également que plus les parents sont âgés, plus il leur est difficile de faire une donation et ils n’agissent parfois pas du tout.
En outre, les parents s'inquiètent souvent, à tort ou à raison, de la réaction de leurs enfants lorsque ceux-ci reçoivent une donation importante. Ce phénomène est bien connu, il s’agit du syndrome « Ferrari » ou la peur des parents de voir les enfants disposer trop légèrement des biens donnés, afin d’acquérir des produits de luxe par exemple.
Une autre source de préoccupation pour les parents est le syndrome du « hamac ». Les parents craignent que les enfants négligent leurs études ou leur carrière professionnelle simplement parce qu'ils ont bénéficié d’une donation importante.
Enfin, les parents craignent l’influence exercée par leurs beaux-enfants actuels ou futurs sur leurs propres enfants, ou pire, en cas de divorce, la volonté de s'approprier une partie des biens donnés.
Combien les parents peuvent-ils donner à leurs enfants ?
Comme évoqué, une donation aux enfants est, en principe, définitive et irrévocable. Une donation trop importante risque de mettre ultérieurement les parents donateurs dans une situation potentielle de dépendance financière vis-à-vis de leurs enfants. La question de savoir ce que les parents doivent conserver en capital après une donation pour mener une vie sans soucis financiers est une question personnelle et étroitement liée à leur niveau de vie. Avant de faire une donation, il est préférable pour les parents de prendre en compte leurs revenus et dépenses futurs. Il est également recommandé de tenir compte de toute dépense imprévue.
Donner à titre d'avance sur la part ou hors part successorale future ?
Les donations aux enfants peuvent être faites sous forme d'avance sur la part successorale future ou non. Si un parent fait une donation à son enfant à titre d'avance sur la succession, il ne lui donne qu'une avance sur sa part dans la succession. Au décès du parent donateur, l'enfant doit alors rapporter la valeur des biens donnés à la masse de partage de la succession, c'est-à-dire l’ensemble des biens à partager entre les héritiers du parent donateur décédé. La donation est alors déduite de la part de la succession à laquelle l'enfant a droit. L'objectif de ce mécanisme de rapport est de garantir l'égalité entre les enfants.
Si un parent fait une donation à l’un de ses enfants hors part successorale future, il souhaite donner à cet enfant plus qu’aux autres. En d'autres termes, le parent donateur ne souhaite pas traiter ses enfants sur un pied d'égalité dans le partage de sa succession. Toutefois, il faut vérifier si cette donation n'a pas affecté la part réservataire des autres enfants. Si tel était le cas, les enfants lésés peuvent demander la réduction de la donation en question afin de reconstituer leur réserve héréditaire.
Si un parent fait une donation à l’un de ses enfants hors part successorale future, il souhaite donner à cet enfant plus qu’aux autres. En d'autres termes, le parent donateur ne souhaite pas traiter ses enfants sur un pied d'égalité dans le partage de sa succession. Toutefois, il faut vérifier si cette donation n'a pas affecté la part réservataire des autres enfants. Si tel était le cas, les enfants lésés peuvent demander la réduction de la donation en question afin de reconstituer leur réserve héréditaire.
Tant le rapport que la réduction d'une donation se font en principe en valeur. Le donataire n'est en effet pas tenu de rapporter les biens donnés en tant que tels mais uniquement la contre-valeur de ces biens. En principe, le rapport s'effectue à la valeur des biens au moment de la donation. Cette valeur est indexée sur base de l'indice des prix à la consommation à compter du jour de la donation jusqu'au jour du décès du parent donateur. Toutefois, si le donataire n'a pas le droit de disposer de la pleine propriété des biens donnés (par exemple, parce que le parent donateur s’est réservé un usufruit ou a imposé une interdiction de disposition des biens), ces biens sont évalués à leur valeur au moment où le donataire acquiert ce droit de disposition (par exemple, en cas de décès du parent donateur).
Revenons à Jean et Julie. Ils souhaitent traiter leurs enfants sur un pied d'égalité et décident de leur faire des donations à titre d'avance sur leur succession. Jean et Julie font donation du portefeuille titres d’1.000.000 d’euros à leurs filles en nue-propriété et ce, au même moment. Par conséquent, au décès de Jean et/ou Julie, les enfants devront rapporter la même valeur à la masse de partage de la succession. L'égalité entre les enfants reste ainsi garantie.
Jean et Julie souhaitent également faire une donation de 100.000 euros à Anne et une donation du même montant à Elisabeth mais à une date ultérieure. Au décès de Jean et/ou Julie, les deux filles devront rapporter leurs donations. Compte tenu du délai entre les deux donations, Anne devra rapporter une valeur supérieure à celle de sa sœur Elisabeth en raison du mécanisme d'indexation. Par conséquent, Anne devra indemniser Elisabeth même si elle a reçu exactement le même montant. Une façon simple d'éviter cela est de faire en sorte qu’Anne et Elisabeth bénéficient toujours de donations d’une même valeur et au même moment. Si, pour une raison quelconque, cela n'est pas possible, Jean et Julie, ensemble avec Anne et Elisabeth, peuvent conclure un pacte successoral global dans lequel ils déterminent une fois pour toute la valeur des donations faites. Cette question sera abordée dans un prochain article.
Quelle est la meilleure façon de donner le portefeuille titres aux enfants ?
Jean et Julie veulent faire une donation de la moitié de leur portefeuille titres aux enfants principalement afin de réduire les droits de succession dus au moment de leur décès. Jean et Julie veulent donc lier à leur donation toutes les conditions et modalités de protection possible. Les plus importantes sont présentées ci-dessous. Tout d'abord, ils peuvent faire une donation avec réserve d'usufruit. Les enfants n'acquièrent donc que la nue-propriété du portefeuille titres. Ce type de donation a pour avantage de permettre à Jean et Julie, en tant qu'usufruitier, de continuer à jouir du portefeuille titres en ce sens qu’ils restent les bénéficiaires des fruits civils (intérêts, dividendes, coupons) générés par ce portefeuille titres. Ceci répond à leur objectif de continuer à percevoir les revenus du portefeuille titres donné.
Jean et Julie souhaitent également que le survivant d'entre eux puisse encore bénéficier de l’usufruit conventionnel sur la totalité du portefeuille-titres donné, y compris les charges et modalités prévues dans l’acte de donation. A cette fin, Jean et Julie peuvent, comme charge de la donation, stipuler chacun en leur faveur que, en cas de décès du premier d'entre eux, les enfants laisseront l'usufruit au survivant sur les biens donnés par le premier mourant. En d'autres termes, Anne et Elisabeth n’obtiendront la pleine propriété des biens donnés qu’au décès du survivant de leurs parents. L'administration fiscale accepte que cette charge puisse être supportée sans droits de succession ou d'enregistrement.
Jean et Julie peuvent également inclure une clause de retour conventionnel dans leur acte de donation. Cette clause a pour effet de faire revenir les biens donnés dans le patrimoine de Jean et Julie en cas de prédécès d'Anne ou d’Elisabeth. Ce retour a lieu sans droits de succession ni droits d'enregistrement. Jean et Julie sont libres de donner à nouveau les biens concernés à leur fille encore en vie ou, le cas échéant, à leurs petits-enfants.
Afin d'éviter qu’Anne ou Elisabeth ne dispose de la nue-propriété du portefeuille titres pendant la vie de Jean et Julie, sans leur consentement, ces derniers peuvent inclure une clause d’interdiction de disposer des biens donnés dans l'acte de donation. Etant donné la crainte de Jean et Julie de voir leur gendre Grégoire faire valoir des droits sur le portefeuille titres donné à Elisabeth, ils peuvent également inclure une clause d’interdiction d’apport à une communauté ou à une indivision de biens ou une société dans l'acte de donation. En vertu de cette clause, Elisabeth s'engage à ne pas apporter les biens donnés à une communauté (p. ex. une communauté matrimoniale) ou à une quelconque indivision ou société.
En tant qu’usufruitiers, Jean et Julie continuent à gérer le portefeuille titres donné et ce, conformément au code civil. Leur gendre Grégoire ne peut donc pas s'immiscer dans la gestion du portefeuille de titres donné à Elisabeth. Le ou les usufruitiers doivent toujours gérer le portefeuille titres en bon père de famille. Il n'est donc pas question d'investir dans des produits à haut risque. Il est également recommandé de prévoir dans l’acte de donation que le ou les usufruitiers eux-mêmes puissent donner une procuration à un tiers (par exemple à la banque si la formule de gestion de fortune discrétionnaire est choisie ou à un ou plusieurs mandataires si le ou les usufruitiers ne souhaitent plus gérer eux-mêmes le portefeuille titres).
Une donation avec réserve d'usufruit doit se faire devant notaire et est en toute hypothèse soumise à des droits de donation. S'il s'agit d'un notaire belge, il percevra les droits de donation pour les reverser à l’administration fiscale compétente. Afin de connaître la réglementation régionale applicable à une donation, il est nécessaire de déterminer la région dans laquelle le donateur a sa résidence fiscale au moment de la donation. Si le donateur a vécu successivement dans différentes régions au cours des cinq dernières années précédant la donation, sa résidence fiscale se situe dans la région où il a vécu le plus longtemps pendant cette période. Le taux des droits de donation mobilière en ligne directe est de 3% en Région flamande et en Région de Bruxelles-Capitale et de 3,3% en Région wallonne. Dans chaque région, les droits sont toujours calculés sur la valeur de la pleine propriété des biens donnés, même si seule la nue-propriété est donnée. Si Jean et Julie optent pour un notaire étranger, ils devront eux-mêmes présenter l’acte à l’enregistrement en Belgique dans les quatre mois suivant la passation et payer les droits de donation de 3% ou 3,3%. Des droits de succession sur les biens donnés ne sont plus dus au moment du décès.
Quelle est la meilleure façon de donner des liquidités à Anne ?
L'intention de Jean et Julie par rapport à cette donation est simplement de donner un coup de pouce financier à Anne (et peut-être plus tard à Elisabeth). Jean et Julie ne veulent donc pas lier de conditions ou modalités trop contraignantes à cette donation. Jean et Julie peuvent envisager d’effectuer un don bancaire à Anne. Un don bancaire est un don indirect par lequel le donateur exécute d'abord un acte juridique neutre, à savoir le virement des fonds sur le compte du donataire sans aucune communication, suivi de la rédaction d’un document sous seing privé, signé par le donateur et le donataire (le "pacte adjoint"). Par ce document, le donateur démontre entre autres son intention libératoire et ajoute certaines conditions et/ou modalités à la donation. D'une manière générale, un don bancaire permet uniquement de transmettre la pleine propriété des biens donnés.
L'avantage du don bancaire est que Jean et Julie ne doivent pas faire appel à un notaire pour effectuer la donation des liquidités et que les droits de donation ne sont pas obligatoirement dus. Cependant, Jean et/ou Julie doivent rester en vie 3 ans en Régions flamande et de Bruxelles-Capitale ou 5 ans en Région wallonne après la donation. Si l'un d'eux ou les deux décèdent endéans cette période, les biens donnés par le ou les défunts subissent les droits de succession.
Jean et Julie pourraient envisager d’inclure une clause de retour conventionnel dans le pacte adjoint. Cette clause garantit que les biens donnés ou la valeur correspondante retournent dans le patrimoine de Jean et Julie en cas de prédécès d'Anne. Ceci se fait en principe sans droits de succession ni droits de donation. Jean et Julie sont libres de donner à nouveau les biens concernés à leur autre fille ou, le cas échéant, aux petits-enfants.
Conclusion
Les donations restent l'instrument par excellence pour réaliser un transfert de patrimoine à la génération suivante. Le grand avantage de la donation est que les biens donnés ne seront plus soumis aux droits de successions, sauf exceptions. L'inconvénient est qu'une donation aux enfants est en principe définitive et irrévocable. Ne négligeons pas non plus les aspects financiers et psychologiques de la donation. Il faut donc prendre le temps de la réflexion avant de franchir le pas et demander toujours conseil à son notaire ou à un spécialiste en planification successorale.
En savoir plus ?
Si vous avez des questions ou si vous souhaitez préparer un plan de succession réfléchi, veuillez contacter votre conseiller, votre notaire et/ou le service de planification successorale de la Deutsche Bank.