Quelle planification successorale pour les cohabitants ?

Si Pierre et Anne ne souhaitent pas se marier, ils peuvent opter dans notre pays soit pour la cohabitation légale, soit pour la cohabitation de fait.

Supposons que Pierre et Anne cohabitent légalement. Cette possibilité existe déjà depuis plus de vingt ans en Belgique. Cette forme juridique offre un statut limité, principalement de nature patrimoniale. Pierre et Anne doivent déposer une déclaration écrite de cohabitation légale à cette fin auprès de l’état civil de leur domicile commun. La cohabitation légale est possible pour deux personnes dans la mesure où elles ne sont pas déjà liées par un mariage ou par une autre cohabitation légale. Contrairement au mariage, la cohabitation légale est ouverte à deux personnes ayant une relation familiale (par exemple, un frère et une sœur ou un parent et un enfant). Pour la simplicité de cet article, nous prendrons le cas de de Pierre et Anne, c'est-à-dire des personnes qui n'ont aucun lien de parenté entre eux. La cohabitation légale de Pierre et Anne prend fin s’ils décident de se marier, par le décès de l'un d'eux ou par la remise à l'officier de l'état civil d'une déclaration commune ou même unilatérale de cessation de la cohabitation légale.

Si Pierre et Anne ne sont pas mariés et n'ont pas fait de déclaration de cohabitation légale, ils peuvent aussi simplement être cohabitants de fait. Contrairement au mariage et à la cohabitation légale, le statut de la cohabitation de fait n'est pas régi par la loi. Cette forme de cohabitation ne nécessite donc aucune formalité. La cohabitation de fait ne se limite pas non plus aux relations entre deux personnes. Ici aussi, nous nous limitons au cas d’Anne et Pierre.

Les cohabitants légaux sont soumis à un certain nombre de dispositions légales obligatoires, se référant au régime des époux, bien que les dispositions applicables aux cohabitants soient beaucoup plus limitées. La cohabitation légale n'offre d’ailleurs qu’une protection minimale car, comme cela a déjà été mentionné ci-dessus, elle peut être résiliée unilatéralement par chacun des cohabitants à tout moment, sans l’intervention d’un juge.

L'une des principales dispositions obligatoires est la protection de la maison familiale et des meubles dits ‘meublants’. Cela signifie, entre autres, que l'un des cohabitants légaux ne peut pas décider seul de vendre, de donner ou d'hypothéquer ce logement, même s'il en est l'unique propriétaire ou usufruitier, à moins que l'autre cohabitant n’y consente. Cela s'applique également aux meubles qui garnissent l’habitation. Mais il existe également une protection si la maison occupée par les cohabitants est louée : si l'un des cohabitants conclut un contrat de location concernant la maison familiale, la cohabitation légale crée un droit au bail indivis légal pour les deux cohabitants. Il n’est pas possible d’y déroger. Les deux cohabitants deviennent titulaires du contrat de bail, que le contrat de bail ait été conclu avant ou après le début de la cohabitation légale. En outre, en principe, toutes les résiliations et notifications doivent émaner des deux partenaires ou être adressées à chaque cohabitant séparément.

Si ces mesures de protection ne sont pas respectées, le cohabitant lésé peut demander l'annulation de l'acte et éventuellement réclamer des dommages et intérêts à l'autre cohabitant.

Par ailleurs, il existe également, entre cohabitants légaux, l'obligation de contribuer aux charges du ménage en fonction des possibilités de chacun. En outre, il existe entre autres une responsabilité conjointe et solidaire pour les dettes du ménage et de l'éducation des enfants, à l'exception des dettes excessives.

Les cohabitants de fait n'ont aucune obligation l'un envers l'autre, à moins d’en avoir convenu dans un contrat de cohabitation (voir plus loin).

Les effets patrimoniaux de la cohabitation légale sont proches de ceux des couples mariés sous le régime de la séparation de biens. Chaque cohabitant est propriétaire des biens dont il peut prouver la propriété, des revenus de ces biens et des revenus de son propre travail. La présomption légale veut que les biens dont l'un des cohabitants ne peut prouver la propriété appartiennent, quant à eux, aux deux cohabitants en indivision.

Aucune règle spécifique ne s'applique aux cohabitants de fait. Le droit commun s'applique simplement dans la mesure où ils ne s'en écartent pas par convention. Chaque cohabitant conserve la propriété exclusive, d'une part, des biens qu'il possède au début de la cohabitation et, d'autre part, des biens qu'il acquiert pendant la cohabitation. Les biens acquis en commun par les cohabitants de fait ou dont aucun d'eux ne peut en démontrer la propriété exclusive, leur appartiennent en indivision. En pratique, la fin d'une relation donne souvent lieu à des discussions sur la propriété exclusive de biens mobiliers.

Les couples en situation de cohabitation légale ou de fait ont la possibilité de conclure un contrat de cohabitation dans lequel ils établissent des conditions spécifiques à leur cohabitation. Pour les cohabitants légaux, ce contrat doit être établi par acte notarié. Dans ce contrat, ils peuvent notamment déterminer les règles relatives àl'organisation de la famille et certaines conséquences de la cohabitation quant à la propriété des biens de leur patrimoine.

Anne et Pierre peuvent décider quels biens leur sont propres et lesquels leur sont indivis, la somme d'argent qu’ils versent chaque mois sur le compte commun pour subvenir aux frais du ménage, la manière de gérer une éventuelle fin de la relation, la manière de supporter les coûts de l'éducation des enfants, etc. Il est évident que l'accord ne doit pas violer les règles d'ordre public, les bonnes mœurs ou les dispositions impératives.

En matière de droit successoral, il existe une distinction claire entre le droit successoral des cohabitants légaux et celui des cohabitants de fait.

Les cohabitants légaux héritent automatiquement l'un de l'autre (sans qu’un testament ne soit donc nécessaire), mais ce droit successoral est limité à l'usufruit sur le logement familial ou au droit au bail de ce logement s’il est loué et à l'usufruit des meubles qui le garnissent. On entend par logement familial le bien immobilier qui a été la résidence commune de la famille pendant la cohabitation ou, dans le cas d'un logement loué, le bien immobilier qui servait de résidence commune à la famille au moment de l'ouverture de la succession du cohabitant légal décédé.

Il faut toutefois être prudent car il ne s'agit pas d'un droit successoral réservataire : chaque cohabitant peut limiter ces droits successoraux en rédigeant un testament et ainsi déshériter totalement ou partiellement le cohabitant survivant. Ce dernier ne doit même pas en être informé.

Depuis quelques années, le cohabitant légal bénéficie également de l'usufruit dit « successif » sur le logement familial, si ce logement a été donné par le cohabitant prédécédé avec réserve d’usufruit. À condition toutefois que le cohabitant survivant avait déjà ce statut au moment de la donation et que le cohabitant donateur soit resté titulaire de cet usufruit jusqu'au jour de son décès. Supposons qu’Anne soit l'unique propriétaire du logement familial et que pendant la cohabitation légale avec Pierre, elle fasse une donation de la nue-propriété de cette maison à sa sœur. Dans ce cas, au décès d’Anne, Pierre obtiendra l'usufruit successif sur cette maison. Ce n'est qu'au décès de Pierre que la sœur d’Anne obtiendra la pleine propriété de ce bien, sauf si Pierre opte pour la conversion de cet usufruit (voir plus loin).

Tant l'usufruit légal « ordinaire » sur le logement familial et sur les meubles le garnissant que l'usufruit successif sur celui-ci peuvent être convertis (entre autres) en une somme d'argent ou en une rente garantie et indexée, mais uniquement avec le consentement du cohabitant survivant.

Les cohabitants de fait n’héritent pas l'un de l'autre. Dans ce cas, la succession revient aux enfants et, en l’absence d'enfants, aux autres membres de la famille. À défaut d'enfants ou de parents, la succession revient à l'État belge. Si vous souhaitez néanmoins que le cohabitant de fait survivant hérite, la rédaction d’un testament s’impose. Il faut toutefois tenir compte d'une réserve légale pour les éventuels enfants.

En Région flamande, les cohabitants légaux bénéficient des mêmes taux que les conjoints, soit de 3% à 27%. En principe, ils bénéficient également de l'exonération des droits de succession sur le logement familial (dans le cas d’Anne et Pierre).

Les cohabitants de fait ont également droit à ces taux préférentiels, à condition toutefois qu'à la date du décès, ils aient cohabité pendant au moins un an sans interruption et qu'ils aient tenu un ménage commun. Si ce n'est pas le cas, les taux ordinaires, plus élevés, s'appliquent, soit de 25 à 55% (dans le cas d’Anne et Pierre). Les cohabitants de fait ont également droit à l'exonération des droits de succession sur le logement familial, à condition qu'ils aient cohabité pendant trois ans sans interruption et qu'ils aient tenu un ménage commun.

En Région wallonne, seuls les cohabitants légaux bénéficient des mêmes taux que les conjoints, soit de 3% à 30%. En principe, ils bénéficient également de l'exonération des droits de succession sur le logement familial qui a été la résidence principale des cohabitants légaux pendant au moins 5 ans à la date du décès.

Les cohabitants de fait sont soumis aux taux supérieurs habituels, allant de 30 à 80% (dans le cas d’Anne et Pierre), et ne sont pas exonérés des droits de succession sur le logement familial.

En Région de Bruxelles-Capitale, seuls les cohabitants légaux bénéficient des mêmes taux que les conjoints, allant de 3% à 30%. En principe, ils bénéficient également de l'exonération des droits de succession sur le logement familial (dans le cas d’Anne et Pierre).

Les cohabitants de fait sont soumis aux taux supérieurs habituels, allant de 40 à 80% (dans le cas d’Anne et Pierre), et ne sont pas exonérés des droits de succession sur le logement familial.

Par conséquent, les cohabitants de fait de la Région wallonne et de la Région de Bruxelles-Capitale, en particulier, ont tout intérêt à établir une planification successorale afin d'éviter les taux extrêmement élevés (maximum de 80% !).

Si Anne et Pierre cohabitent légalement et souhaitent que le cohabitant survivant hérite de plus que l'usufruit sur le logement familial et les meubles le garnissant, ils peuvent chacun envisager de rédiger un testament en faveur de l'autre. Un testament présente l’avantage pour le testateur de conserver la pleine propriété de ses biens jusqu'au moment de son décès. En droit civil, le cohabitant survivant recueille alors les biens légués par le cohabitant prédécédé tout en bénéficiant des taux de droits de succession favorables mentionnés ci-avant. Lors de la rédaction de ce testament, il faut, le cas échéant, tenir compte des droits réservataires des enfants du testateur. En outre, d'un point de vue juridique, le testament n'offre qu'une sécurité limitée au cohabitant légal survivant, puisque le testateur peut révoquer le testament à tout moment.

Sur le plan civil, si Anne et Pierre sont cohabitants de fait, le survivant recevra les biens légués par le cohabitant prédécédé par le biais du testament, mais il ne pourra bénéficier des taux d'imposition favorables qu’en Région flamande, et ce uniquement à condition d’avoir cohabité avec le défunt durant une période suffisamment longue (voir les conditions mentionnées ci-avant). En Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale, le testament a les mêmes conséquences en droit civil, mais d'un point de vue fiscal, les taux les plus élevés (jusqu'à 80%) sont appliqués sur les biens légués par le cohabitant prédécédé.

Contrairement à un testament, une donation a un effet immédiat en droit civil. Ce qui est donné n’appartient plus au donateur. Une donation entre cohabitants est donc irrévocable, contrairement aux donations entre époux qui peuvent être révoquées à tout moment. Une donation peut bien sûr être soumise aux conditions et/ou charges souhaitées, telles qu'une réserve d'usufruit ou un droit de retour conventionnel. Pour plus d'informations à ce sujet, veuillez vous reporter à notre article précédent : ‘La donation de biens mobiliers aux enfants’. En outre, la donation offre souvent un avantage fiscal, en particulier s'il s'agit de biens mobiliers. Les taux applicables aux donations de biens mobiliers sont en effet fixes dans les trois régions, contrairement aux taux progressifs des droits de succession.

En Région flamande, non seulement les cohabitants légaux peuvent bénéficier des mêmes tarifs que ceux applicables aux conjoints et en ligne directe, mais aussi les cohabitants de fait, à condition d’avoir vécu ensemble pendant au moins un an sans interruption et d’avoir tenu un ménage commun au moment de la donation. En Région flamande, le taux fixe préférentiel pour les donations de biens mobiliers est de 3%. Pour les donations immobilières, les taux sont progressifs (le taux le plus élevé étant de 27%).

En Région wallonne et Région de Bruxelles-Capitale, les taux applicables aux conjoints ne s'appliquent qu'aux cohabitants légaux. En outre, la Région wallonne requiert que les cohabitants légaux cohabitent effectivement ensemble au moment de la donation. En Région de Bruxelles-Capitale, le taux fixe préférentiel pour les donations mobilières est de 3%, en Région wallonne, il est de 3,3%. Pour les donations immobilières, les taux sont progressifs (le taux le plus élevé est de 27% dans les deux régions). Les cohabitants de fait ne peuvent bénéficier des taux applicables aux conjoints dans aucune des deux régions. Ils sont soumis aux taux « ordinaires ». Pour les biens immobiliers, le taux le plus élevé est de 40% (dans les deux régions) dans le cas d’Anne et Pierre et pour les biens mobiliers, le taux fixe est de 5,5% en Région wallonne et de 7% en Région de Bruxelles-Capitale.

D'un point de vue fiscal, une donation peut donc donner lieu à des économies fiscales considérables. Supposons qu’Anne et Pierre cohabitent légalement en Région flamande et qu’Anne souhaite faire donation à Pierre d'un portefeuille de titres de 500.000 euros : celui-ci sera soumis à des droits de donation selon un taux fixe de 3% (soit 15.000 euros). Si Anne devait léguer le même portefeuille à Pierre par testament, ce dernier serait redevable des droits de succession au taux le plus élevé de 27% (soit 135.000 euros).

Une autre technique de planification entre cohabitants est le contrat d'accroissement qui peut porter tant sur des biens immobiliers que mobiliers. Dans la suite, nous nous limitons à un contrat d’accroissement ayant pour objet un portefeuille de titres.

Le contrat d'accroissement est en principe un contrat aléatoire (à titre onéreux) qui doit porter en principe sur un bien déterminé (en l'occurrence un portefeuille de titres) détenu en indivision par deux cohbaitants. Les parties conviennent que la part indivise du cohabitant prémourant sera, sous la condition suspensive de son prédécès, acquise de plein droit par le cohabitant survivant. Comme à la signature du contrat, on ignore qui décèdera en premier lieu, il s'agit d'un contrat aléatoire. Il est important que les probabilités de décès des deux cohabitants soient équivalentes (en termes d'âge, de santé et d'espérance de vie), et ce bien sûr au moment de la conclusion du contrat d'accroissement. Le contrat peut ainsi être qualifié de contrat aléatoire à titre onéreux. Dans le cas contraire, les autorités fiscales pourraient conclure à l’existence d'une donation, avec les conséquences fiscales négatives que cela peut avoir. Un contrat d’accroissement doit également être limité à certains biens (ici le portefeuille de titres) et non à des ensembles de biens (par exemple « tous les actifs mobiliers »).

Si ces règles de base sont respectées, le contrat d’accroissement aura, en principe, un certain nombre de conséquences favorables. Nous insistons sur le fait qu'il faut toujours s'assurer de l'état actuel des choses avant de se lancer réellement dans l’établissement d’un contrat d'accroissement, car les autorités fiscales observent cette planification avec suspicion et il leur arrive de changer leur fusil d'épaule cet égard. Par conséquent, en s’en tenant à ce qui est autorisé, les biens en question n’entrent en principe pas dans la succession du cohabitant prédécédé. Si le cohabitant défunt a des enfants, ils ne peuvent en principe pas réclamer leur part réservataire sur les biens concernés par le contrat d’accroissement. En principe, aucun droit de succession ou d'enregistrement n'est dû sur l'accroissement de biens mobiliers en cas de décès. Autre élément non négligeable : contrairement à une donation entre époux ou à un testament, un contrat d’accroissement ne peut pas être révoqué unilatéralement par l'un des cohabitants. Il procure donc plus de sécurité au cohabitant survivant. Enfin, un certain nombre d'aspects bancaires et pratiques doivent toujours être pris en compte. Si, par exemple, des fonds ou des titres sont retirés du compte d’accroissement, les deux cohabitants doivent agir ensemble.