Comment la démographie redessinera-t-elle l’économie mondiale ?

Marchés et investissements - 3 janvier 2024

Comment la démographie redessinera-t-elle l’économie mondiale ?

Rédigé par Wim D'Haese - Head Investment Strategist

En résumé

  • Le vieillissement de la population s’accompagne de défis, tels qu’un surcroît de pression sur les systèmes de pension, les dettes publiques et les soins de santé.
  • D’autre part, les humains travaillent plus longtemps et vivent en meilleure santé, ce qui impacte positivement les dépenses de consommation et la croissance économique.
  • Si certains pays se préparent un appréciable dividende démographique, la question démographique se pose en termes beaucoup moins favorables pour d’autres.

En mai 2023, le pape François a formulé une observation que n’aurait pas reniée un économiste. Il a avancé que le recul de la natalité en Italie pourrait engendrer un ‘hiver démographique’ dans la péninsule. Au cours de l’année précédente (2022), la population de la botte de l’Europe s’était à nouveau contractée. “En douze mois, l’Italie a perdu l’équivalent de la population de Bari”, a souligné le souverain pontife. “Soit 300.000 personnes. Le recul de la natalité menace l’avenir de l’économie italienne1.” Son message aux Italiens était clair : faites davantage d’enfants, quitte à adopter moins d’animaux de compagnie…

50 nuances de gris

L’Italie n’est pas le seul pays confronté à un problème de natalité. Dans tous les pays européens, le taux de fécondité – le nombre moyen d’enfants qu’une femme met au monde au cours de sa vie – est passé sous la barre de 2,1. Or, ce 2.1 est le niveau minimum pour garantir la stabilité démographique sans immigration2. L’Europe vieillit, et ce n’est pas un scoop. Au demeurant, la baisse du taux de fécondité n’est pas l’apanage des ‘riches nations occidentales’. Le problème se pose également dans plusieurs pays émergents : Chine (1,2), Thaïlande (1,3), Russie (1,5), Brésil (1,6), Mexique (1,8), Turquie (1,8), Vietnam (1,9)…3.

La qualité remplace la quantité

Les démographes annoncent depuis les années 60 qu’un ralentissement de la natalité est inévitable. Dans le monde entier, la prospérité générale augmente, les pays deviennent plus riches, un meilleur enseignement produit de meilleurs jobs, l’urbanisation progresse, l’accessibilité aux contraceptifs augmente, les femmes ont davantage accès à de meilleurs métiers, etc. En d’autres termes, les ménages recherchent moins la quantité, au bénéfice de la qualité. De très nombreux pays ont déjà effectué cette transition démographique fondamentale : une nation pauvre et à haute natalité se transforme en pays riche à faible natalité.

Personne – ni le pape ni le monde politique – ne semble pouvoir inverser cette tendance. Même le Danemark, un pays dans lequel l’équilibre privé-professionnel est un des meilleurs au monde, se caractérise par un taux de fécondité proche de celui de la Belgique (1,7 vs 1,6). Et ce malgré les 18 semaines de congé de maternité accordé aux femmes, aux 14 semaines offertes aux papas et aux 32 semaines à répartir entre les deux parents.

Job cherche h/f

Le vieillissement de la population n’est cependant pas un problème universel. Au cours des dix prochaines années, la planète accueillera même 2 milliards d’êtres humains en plus, plus de la moitié de cet accroissement étant à mettre à l’actif de l’Afrique4. Tandis que certains pays se constituent bel et bien un appréciable dividende démographique – nous pensons par exemple à l’Inde et au Nigéria – la question démographique est beaucoup moins rose pour d’autres5. Avec des implications économiques à la clé. Pourquoi ? Essentiellement parce que le recul de la natalité réduit la population active.

Des chiffres ? Dans les pays à hauts revenus, en 2000, 60% de la population se situait dans la tranche d’âge potentiellement active (20-64 ans). En 2060, cette proportion ne sera plus que de 52%, et elle continuera à régresser par la suite6. Dans ces pays, le groupe des actifs qui génèrent des revenus pour l’État via leurs impôts (pour financer les soins de santé, les pensions, l’enseignement, etc.) se réduit à peau de chagrin, tandis que la catégorie des 65+ croît et embellit. Parmi les membres du G20, 14 pays (représentant 70% du PIB mondial) sont confrontés à cette problématique7.

Longue vie à nous !

Mais ce n’est pas tout. Le groupe des 65+ ne se contente pas de prendre de l’ampleur, sa moyenne d’âge augmente grâce à l’allongement de l’espérance de vie. Si vous aviez vu le jour en Europe en 1900, vous auriez eu une espérance de vie à la naissance de moins de 43 ans. Aujourd’hui, elle est supérieure à 77 ans8. C’est surtout en Afrique que cette espérance de vie a récemment progressé de manière spectaculaire : de moins de 27 ans en 1925 à 62 ans aujourd'hui8. Les humains vivent donc beaucoup plus vieux qu’avant, tant dans les pays industrialisés que dans les nations en développement. Une évolution à mettre à l’actif d’une augmentation de la prospérité et d’une progression des soins de santé.

Dilemmes démographiques

Le vieillissement s’accompagne de multiples défis, tels qu’une pression accrue sur les systèmes de pension, sur la dette publique et sur les soins de santé. Il est aussi de nature à impacter la croissance économique, et donc la prospérité d’une nation, car une moindre proportion de la population est active sur le marché du travail. Comme moins de travailleurs sont disponibles, leur position dans les négociations salariales s’en trouve renforcée, avec à la clé des salaires à la hausse et une potentielle pression inflatoire systématique. Dernier élément, tout le monde n’est pas prêt financièrement à vivre vieux. Dans de nombreux pays, les pouvoirs publics n’accordent pas – ou peu – de pension de vieillesse à leurs retraités qui, pour survivre, doivent recourir à leur famille et/ou à leur épargne. En conséquence, l’éducation et la planification financières sont essentielles, non seulement pour les individus, mais aussi pour la société dans son ensemble.

Oui, il y a aussi de bonnes nouvelles

Le tableau n’est pas sombre sur toute la ligne. Primo, les gens vivent plus vieux et en meilleure santé. Ainsi, si vous aviez 75 ans en 1960, sans doute passiez-vous vos journées dans votre fauteuil. Aujourd’hui, vous pédalez allègrement, vous prenez l’avion pour passer l’hiver au chaud ou vous faites régulièrement du shopping avec votre conjoint. Ce dynamisme est excellent pour les dépenses de consommation, et donc pour la croissance économique. Secundo, une contraction de la population active n’entraîne pas nécessairement un recul de la productivité. Aux États-Unis, par exemple, cette productivité a continué à progresser malgré une érosion de la croissance démographique (en Europe, cette augmentation de la productivité est plutôt modeste)7. Et bien qu’il soit sans doute trop tôt pour évaluer fiablement l’impact de l’intelligence artificielle, cette technologie dispose incontestablement du potentiel voulu pour booster la productivité, parallèlement à d’autres évolutions technologiques, telles que l’automatisation ou la robotique. Enfin, les pays disposant d’un excédent démographique peuvent combler les carences d’autres nations. Dans les pays en développement, les enfants vont de plus en plus longtemps à l’école. Cette nouvelle levée de main-d’oeuvre qualifiée pourrait remédier aux déficits démographiques des économies vieillissantes.

Le vieillissement, ennemi des actions

Les cassandres prédisent souvent un recul des investissements en actions en raison du vieillissement de la population. Si l’on en croit leurs théories, les babyboomers réduiront la voilure de leurs actifs à risques (tels que les actions) au bénéfice d’actifs plus défensifs (comme les obligations), afin de protéger leur capital. Cette thèse est fausse – ou du moins pas suffisamment nuancée – et ce pour plusieurs raisons.

Lorsque l’on vieillit, un réflexe naturel consiste à rendre son portefeuille plus défensif.
Cette décision fait sens, car votre horizon de placement se réduit à mesure que vous prenez de l’âge, tandis que votre besoin de stabilité et de sécurité grandit. Généralement, ce changement de stratégie se traduit par une désaffection des actions au profit d’obligations ou d’autres actifs à taux fixe. Le raisonnement est logique : les actions sont perçues comme plus volatiles et plus risquées, et il leur faut davantage de temps pour récupérer d’un creux, tandis que les obligations sont considérées comme plus sûres, certainement à court terme. Mais que se passerait-il si des millions d’investisseurs grisonnants appuyaient simultanément sur le bouton ‘Vendre’ ? Ce désinvestissement massif provoquerait- il une crise sur le marché des actions ?

Plus. Pas moins.

Pas du tout. Eu égard à l’accroissement de la durée de vie, il est probable que cette bascule se produira moins rapidement et brusquement que redouté. Les investisseurs qui vivent plus longtemps et en meilleure santé pourraient en effet décider de rester investis en actions plus longtemps. Quand on vit vieux, on parvient en effet à mieux lisser la volatilité9 des marchés. Les chiffres en attestent. Aux États-Unis, en 1990, la catégorie des investisseurs âgés de 55 et plus représentait 58,9% de l’ensemble des personnes investies en actions et en fonds d’investissement. Aujourd’hui, ce pourcentage est de 74,5%. Ces chiffres prouvent qu’une plus grande proportion des investisseurs américains en actions appartient aujourd’hui à la vieille génération. En réalité, c’est donc plutôt l’inverse qui se produit : les seniors investissent aujourd’hui de manière plus dynamique, et non plus défensive. Parmi les explications possibles, citons le fait que leurs investissements ne servent pas à assurer leur subsistance. Et qu’ils souhaitent faire don de leurs actions ou les léguer en héritage (dans cette optique, les actions sont plus intéressantes que les obligations, vu leur potentiel de rendement supérieur).

Une nouvelle vague d’investisseurs

En règle générale, l’on consacre une grande partie de ses avoirs au logement pendant les années où l’on travaille et/ou où l’on a des enfants. Ce n’est qu’avec l’âge que le centre de gravité se déplace vers les actifs financiers. En vertu de ce principe, une population vieillissante peut également continuer à soutenir le marché des actions. La demande en actions peut en outre être alimentée par les plus jeunes générations ou nouveaux investisseurs, grâce notamment à la démocratisation des marchés financiers. Rien qu’en Inde, le nombre d’investisseurs a doublé ces deux dernières années, pour atteindre 108 millions de personnes10. Comme, dans de nombreux pays, les gens doivent assurer eux-mêmes leur pension, le pouvoir d’attraction des actions s’en trouve renforcé. Il est en effet nécessaire de prendre davantage de risques pour espérer un rendement potentiel supérieur. À mesure que les gens vivent plus vieux, ils souhaiteront bénéficier pendant plus longtemps de ce rendement supérieur, c’est-à-dire jusqu’à leur pension.

Enfin, les changements démographiques en eux-mêmes favorisent les investissements en actions. Le vieillissement de la population est en effet créateur d’opportunités d’investissement. Pensons par exemple aux soins de santé, aux loisirs, à la technologie, à l’automatisation et bien sûr aux infrastructures. L’accroissement et le vieillissement de la population mondiale auront aussi pour effet de renforcer la demande en matières premières. À l’heure où nous naviguons sur les fluctuations démographiques, il est évident que le vieillissement ne marque pas la fin d’un chapitre, mais plutôt le début d’une nouvelle page pour les marchés. Une page au cours de laquelle les actions continueront à jouer un rôle majeur dans l’avenir financier des jeunes et des moins jeunes.

Intéressé(e) par le segment des actions mondiales ?

Les produits d'investissements sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et vous pouvez ne pas récupérer le montant de votre investissement. Toute décision d’investissement doit être conforme à votre Financial ID (profil d’investisseur). Plus d’infos sur deutschebank.be/financialid.

Les prévisions sont fondées sur des suppositions, évaluations, avis subjectifs, analyses et modèles hypothétiques qui peuvent se révéler faux. Le présent article et les informations qu’il contient ne constituent en aucune manière un conseil en investissement. Fourni exclusivement à titre d’illustration.

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1 Source : apnews.com/article/italy-vatican-pope-demographics-children-72644b8c2436ad2682e074ac194a068f
2 Source : data.oecd.org/pop/fertility-rates.htm
3 Source : data.worldbank. org/indicator/SP.DYN.TFRT.IN?most_recent_value_desc=false
4 Source : un.org/en/global-issues/population
5 Source : un.org/en/development/desa/population/events/pdf/other/21/21June_ FINAL%20PRESS%20RELEASE_WPP17.pdf
6 Source : population.un.org/wpp/Graphs/Probabilistic/PopPerc/20-64/901
7 Source : Deutsche Bank Research | Demographics: The market impact to 2030 (publication interne)
8 Source : ourworldindata.org/life-expectancy
9 La variabilité du cours d’une action, d’un produit financier ou des marchés financiers en général.
10 Source : public.deutschebank.be/f2w/media-pdf/cio-special-india-why-it-will-be-a-usd-7-trillion-economy-by-2030.pdf
11 Le terme "fonds" est l’appellation commune pour un Organisme de Placement collectif (OPC), qui peut exister sous le statut d'OPCVM (UCITS) ou d'OPCA (non–UCITS), et prendre diverses formes juridiques (SICAV , FCP etc). Un OPC peut comporter des compartiments. Les fonds sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et les investisseurs peuvent ne pas récupérer le montant de leur investissement.

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