Le défi patrimonial des « familles recomposées »

Estate Planning & Fiscalité - 15 novembre 2023

Le défi patrimonial des « familles recomposées »

Rédigé par Benoît Verschueren - Senior Estate Planner

La réglementation évolue rapidement. Nous estimons donc qu’il est essentiel de partager cette information avec vous.

Découvrez l'auteur de cet article :
Benoît (46 ans) possède un master en droit (KUL) et en droit fiscal (ULB). Il dispose de 22 ans d’expérience en fiscalité et en planification patrimoniale. Il consacre ses temps libres à la lecture et au tennis.


La planification d’un patrimoine familial n’est généralement pas une chose simple, mais lorsque la famille ne se structure pas selon le modèle classique, l’exercice s’avère souvent encore plus délicat. Les familles dites « recomposées » recouvrent des réalités très diverses. Il s’agit généralement de familles où coexistent des enfants issus de différents mariages ou cohabitations de leurs père et mère et où des liens de parenté plutôt sociaux ou affectifs (et non biologiques) se nouent entre beaux-parents et beaux-enfants.

Comme dans toutes les familles, des questions d’organisation patrimoniale et successorale, tant sur le plan civil que fiscal, se posent au sein des familles recomposées. En fonction des objectifs des parents et des relations qu’ils entretiennent avec leurs enfants et beaux-enfants, des solutions existent visant à préserver, voire concilier les intérêts des différentes parties.

Au fil du temps, le législateur civil a mesuré les spécificités liées à la recomposition familiale et a introduit certaines dispositions ayant pour objectif de protéger les différentes parties et réduire les risques de conflits existant entre elles. La récente réforme du droit successoral en témoigne. Les législateurs fiscaux des différentes régions ont, quant à eux, évolué vers une assimilation des beaux-enfants aux enfants bénéficiaires en ligne directe, tant en termes de droits de succession que de donation.

Faisons la connaissance de Rose, François et de leurs cinq enfants…

Patrimoine familial

Rose et François, respectivement âgés de 60 et 62 ans, se sont mariés il y a une vingtaine d’années sous le régime de la séparation de biens. Rose avait alors trois filles et François deux fils de relations antérieures. Tous les enfants sont aujourd’hui majeurs. L’entente au sein de la famille a toujours été bonne.

Les patrimoines de François et Rose se composent des biens suivants :

  • leur habitation familiale actuelle qui appartenait à François avant leur mariage, estimée à 500.000 euros ;
  • un appartement dont Rose est propriétaire et qu’elle occupait avant leur mariage, estimé à 300.000 euros ;
  • des avoirs bancaires estimés à :
    1.200.000 euros au nom de Rose
    900.000 euros au nom de François

Quelles sont leurs préoccupations ?

Conscients de la particularité de leur situation, François et Rose décident d’amorcer la réflexion au sujet de l’organisation de leur patrimoine dans une optique successorale. Ils souhaitent préserver au maximum les bonnes relations entre tous les membres de la famille.

François et Rose se demandent en premier lieu ce qui se passerait au décès de l’un d’eux. Ils s’estiment a priori suffisamment protégés et ne souhaitent pas obtenir de droits dans leurs successions respectives. Tout au plus, Rose souhaite pouvoir continuer à vivre tranquillement dans la maison familiale.

Par ailleurs, ils s’interrogent encore sur certains points à ce stade. Souhaitent-ils réserver leurs patrimoines respectifs à leurs propres enfants ? Est-il envisageable de transmettre des avoirs également aux beaux-enfants? A leur décès uniquement ou de leur vivant ? Le cas échéant, comment procéder ?

Que se passe-t-il s’ils ne prévoient rien ?

Supposons que François décède en premier lieu et qu’aucune disposition particulière n’ait été prise au niveau de la transmission de son patrimoine.

Le droit successoral attribue les biens de François à ses héritiers légaux, à savoir ses deux fils et son épouse Rose.
Concrètement :

Droit successoral

Comme les filles de Rose ne sont pas les enfants de François, elles n’héritent pas légalement de François. Elles hériteront ultérieurement du patrimoine de leur maman Rose à son décès.

Rose et les fils de François reçoivent donc les biens de la succession de François, respectivement en usufruit et en nue-propriété.

Afin d’éviter les conflits, le droit successoral permet, en principe, aux beaux-enfants ou aux beaux-parents de mettre fin au démembrement de la propriété en usufruit et en nue-propriété. A l’exception de l’habitation familiale qui fait l’objet d’une protection particulière au bénéfice du beau-parent conjoint survivant, les parties peuvent en effet chacune demander la conversion de leurs droits démembrés sur les biens concernés en droits en pleine propriété. Depuis le 1er septembre 2018, cette possibilité a été facilitée. Il suffit aux beaux-enfants ou aux beaux-parents de formuler cette demande de conversion durant la procédure de liquidation-partage de la succession. Cette conversion est alors automatiquement accordée.

N’est-il pas opportun d’éviter toute situation de démembrement usufruit/nue-propriété entre beaux-parents et beaux-enfants ?

Deux hypothèses doivent être distinguées en fonction du niveau de protection souhaité pour le conjoint survivant.

1. Soit le beau-parent conjoint survivant s’estime suffisamment protégé au regard de son patrimoine propre et ne souhaite pas obtenir d’usufruit successoral sur les biens de son conjoint défunt.

Il peut dans ce cas renoncer de son vivant à tout ou partie de ses droits successoraux légaux en usufruit et ce, en insérant une clause spécifique (dite « clause ou pacte Valkeniers ») dans le contrat de mariage-même.

Depuis le 1er septembre 2018, le pacte Valkeniers est qualifié de pacte successoral ponctuel

Exemple : Si François et Rose s’estiment a priori suffisamment protégés et ne souhaitent pas obtenir de droits dans leurs successions respectives, ils peuvent adapter leur contrat de mariage dans ce sens. Il est parfaitement possible de prévoir que Rose ne renonce pas à l’usufruit de la seule maison familiale et puisse continuer à l’occuper en toute tranquillité de son vivant.

Pour le reste du patrimoine de François, cette solution permet a priori de réduire le risque de conflit entre Rose et les fils de François et de conserver la pleine propriété de tout ou partie des biens de François dans sa famille suite à son décès.

2. Soit le beau-parent conjoint survivant souhaite une protection renforcée par rapport à l’usufruit que lui octroie la loi.

Il convient alors de prendre des dispositions particulières entre conjoints en utilisant, notamment, les instruments de transmission patrimoniale suivants : la donation, le testament ou encore le contrat de mariage qui permet de mettre en place des avantages matrimoniaux entre époux.

Cette réserve s’élève à la moitié du patrimoine successoral reconstitué. L’autre moitié, dénommée « quotité disponible », peut parfaitement servir à renforcer la protection du conjoint survivant par rapport à ce que la loi prévoit.

En outre, la loi se montre particulièrement protectrice vis-à-vis des enfants de relations antérieures. Certains avantages matrimoniaux octroyés entre conjoints par le biais du contrat de mariage peuvent, vis-à-vis de ces enfants, être considérés comme des donations entre conjoints. C’est, par exemple, le cas de l’apport d’un bien propre d’un conjoint au patrimoine commun. Les enfants du conjoint ayant réalisé cet apport pourraient, en cas d’infraction à leur réserve héréditaire, remettre en cause cet avantage octroyé au beau-parent au détriment de leurs droits successoraux.

Et si un beau-parent souhaite également transmettre une partie de ses biens à ses beaux-enfants ?

François a vu les filles de Rose grandir presque comme ses propres enfants et souhaite qu’elles héritent également d’une partie de son patrimoine.

Par testament ?

Du point de vue du droit civil, la loi ne désigne pas les beaux-enfants en tant qu’héritiers, il est donc indispensable pour François de prendre des dispositions particulières vis-à-vis des filles de Rose si tel est son souhait. Comme mentionné, les deux fils de François sont ses héritiers légaux réservataires, il doit donc s’assurer de leur laisser au minimum leur réserve héréditaire, c.à.d. la moitié des biens de son patrimoine successoral reconstitué, chacun à concurrence d’un quart. François peut donc décider de rédiger un testament afin de réaliser des legs testamentaires à ses belles-filles et ce, à concurrence de la quotité disponible.

D’un point de vue fiscal, un legs testamentaire reste soumis aux droits de succession. Il est important de vérifier les taux de droits de succession applicables entre François et les filles de Rose. N’étant pas ses héritières en ligne directe descendante, elles auraient pu être traitées comme des personnes totalement étrangères à François et être soumises aux taux les plus élevés (maximum 65% ou 80% en fonction de la région compétente).

Voilà un aperçu de ces règles d’assimilation dans les trois régions :

Règles d'assimilation par régions - testament

* Condition à remplir au jour du décès

En tant que légataires de François, les filles de Rose bénéficieront donc des droits de succession applicables en ligne directe descendante et ce, dans les trois régions. Elles sont donc totalement assimilées aux fils de François à cet égard.

Et par donation ?

Si François envisage de réaliser une donation de son vivant, rien ne l’en empêche, toujours dans le respect de la réserve héréditaire de ses deux fils.

D’un point de vue fiscal, l’assimilation des beaux-enfants du donateur à ses propres enfants pour l’application des droits de donation a évolué de façon similaire à celle des droits de succession, sauf en région de Bruxelles-Capitale.

Voilà un aperçu des règles d’assimilation dans les trois régions :

Règles d'assimilation par régions - donation

* Condition à remplir au jour du décès

Si François réside en région flamande ou en région wallonne, les filles de Rose sont assimilées aux enfants de François pour l’application des droits de donation de biens mobiliers et immobiliers. Il peut leur faire par exemple une donation mobilière enregistrée en bénéficiant des taux réduits de 3% en région flamande ou 3,3% en région wallonne.

La région de Bruxelles-Capitale n’offre pas à François de possibilité d’assimilation des filles de Rose à ses fils pour l’application des droits de donation. Dans cette région, la donation mobilière enregistrée sera soumise au tarif applicable entre autres personnes, c’est-à-dire 7%.

Qu’il s’agisse pour François de rédiger un testament ou de réaliser une donation à l’avantage des filles de Rose, les règles d’assimilation fiscale décrites ci-dessus ne peuvent s’appliquer que si François est toujours marié à Rose au moment de son décès ou au moment de réaliser la donation. Si tel n’était pas le cas (imaginons, par exemple, l’hypothèse d’un divorce entre Rose et François), l’assimilation fiscale ne pourra pas s’appliquer sauf si, en dernier recours, les filles de Rose entrent dans les conditions pour être considérées comme « enfants d’accueil » vis-à-vis de François au sens de la législation fiscale. Avant l’âge de 21 ans, elles devraient alors avoir reçu de François les soins et secours qu’un parent attribue à ses enfants et ce, durant une période de temps plus ou moins longue en fonction de la région concernée. Il s’agit d’une analyse à faire au cas par cas en fonction de la région et de la matière fiscale concernées.

Quels sont les autres nouveautés apportées par la réforme du droit successoral ?

Le premier concerne l’étendue des droits successoraux du (nouveau) conjoint survivant. Imaginons que François ait fait des donations à ses deux fils avant de se marier avec Rose. Au décès de François, si Rose n’obtenait pas au minimum sa réserve héréditaire en tant que conjoint survivant, elle ne pourrait pas demander la réduction de ces donations faites avant leur mariage. Cette mesure apporte une certaine sécurité juridique aux fils de François en évitant donc de remettre en question les donations faites à leurs égards avant son remariage avec Rose.

Le second concerne l’instauration du pacte successoral global depuis le 1er septembre 2018. Le pacte successoral global permettrait, par exemple, à François de régler anticipativement certains aspects de sa succession avec ses deux fils, de manière transparente et contraignante. Ce pacte a pour objet de faire l’inventaire des donations et/ou avantages dont ses deux fils ont déjà bénéficié dans le passé et de constater l’existence d’un équilibre entre eux à cet égard. La signature du pacte par ses enfants a pour effet de « remettre les compteurs à zéro » en ce sens que les donations concernées sont définitivement immunisées : elles ne pourront plus être remises en cause par ses fils dans le cadre de la succession de François.

Outre ses fils, François pourrait donc faire intervenir ses belles-filles à la conclusion d’un pacte successoral global et leur faire une donation au terme de ce pacte. Si toutes les parties signaient le pacte, cela permettrait également d’immuniser totalement les donations faites par François aux filles de Rose. Les fils de François ne pourraient en effet plus en demander la réduction au moment de la succession de leur papa et ce, même si, au final, ils n’obtenaient plus leur réserve héréditaire (une moitié du patrimoine successoral de leur papa). Nous consacrerons un prochain article du « guide pour votre patrimoine » au sujet du pacte successoral.

Conclusion

La recomposition familiale est une réalité qui fait l’objet d’une attention toujours plus grande de la part du législateur civil et des législateurs fiscaux.

La diversité des configurations, la complexité des relations entre les membres au sein des familles recomposées et les objectifs des père et mère de famille appellent à rechercher des solutions ou combinaison de solutions patrimoniales souvent très singulières. Toute solution patrimoniale s’appuie nécessairement sur une réflexion globale autour de ces éléments et de toutes les implications tant au plan civil que fiscal. A cette fin, il est recommandé de s’entourer des conseils de son notaire et/ou à tout autre spécialiste en planification patrimoniale.

En cas de décès, des conflits liés à l'héritage peuvent parfois survenir. La nouvelle loi sur les successions offre toutefois un certain nombre d'options pour éviter de manière proactive ces conflits potentiels. Vous pouvez donc déjà agir vous-même au cours de votre vie.

Vous avez des questions en matière de planning patrimonial ?

Prenez rendez-vous dans l’Advisory Center de votre choix via le lien ci-dessous. Nos experts se feront un plaisir de vous recevoir.

Partagez cet article


Ceci pourrait également vous intéresser

23 mars 2023

La donation de biens mobiliers aux enfants

13 juillet 2021

12 conseils pratiques pour votre planification patrimoniale

18 avril 2023

Comment organiser sa planification patrimoniale en l’absence d’enfants ?