Les 5 grands chantiers de l’Allemagne

Marchés et investissements - 21 mai 2025

Les 5 grands chantiers de l’Allemagne

La troisième économie mondiale se trouve à un moment charnière. Un ‘Zeitenwende’, comme l’on dit outre-Rhin. La prospérité des dernières décennies est mise en péril par les évolutions géopolitiques et technologiques. Les années d’or de la mondialisation sont finies, et les incertitudes qui règnent désormais sur le commerce mondial exposent les faiblesses structurelles de l’Allemagne. En 2024, ce pays a enregistré la plus faible croissance du G7. À un point tel que l’on commence à craindre une longue stagnation.

Graphique : L'Allemagne à la traîne parmi le G7

Graphique

Source : Deutsche Bank AG, données de février 2025

Sur le plan économique, la position de départ du nouveau gouvernement est problématique. S’il n’intervient pas, la croissance ne dépassera probablement pas les 0,5% avant la fin de la décennie. Un niveau plancher depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’économie allemande est fortement dépendante de la demande mondiale en biens industriels et en investissements des particuliers (comme les voitures). Ces dernières années, les incertitudes quant à la politique économique ont cependant freiné les investissements nationaux et poussé les entreprises allemandes à s’installer à l’étranger.

La croissance est inhibée par le manque de personnel qualifié, par la contraction de la population active et par l’insuffisance de la migration professionnelle qui permettrait de combler cette carence. De tous les pays de l’OCDE, c’est en Allemagne que les travailleurs prestent le moins d’heures. Depuis le début du siècle, l’Allemagne a aussi trop peu investi dans la maintenance et l’extension de ses infrastructures et de ses capacités de défense.

Le nouveau gouvernement est déterminé à administrer à l’Allemagne une solide cure de vitamines. Les partis de la coalition – CDU/CSU et SPD – ont conclu un accord avec les Verts (qui ne font pas partie du gouvernement) afin de voter les lois nécessaires. La levée du frein à la dette a en effet nécessité une modification de la constitution, qui a été adoptée à la majorité des deux tiers. Par ailleurs, les partis du gouvernement ont aussi donné leur feu vert à la création d’un fonds de 500 milliards destiné à financer au cours des 12 prochaines années des projets d’infrastructures en dehors des dépenses publiques ordinaires.

Quel est l’enjeu ?

Une stagnation chronique menacerait non seulement la prospérité du pays, mais aussi sa liberté et sa sécurité. Sans croissance, l’Allemagne éprouverait beaucoup de difficultés à préserver sa sécurité sociale. Pour faire face au seul renchérissement de son modèle de soins et de pensions, elle doit pouvoir s’appuyer sur une croissance annuelle de ±2%.

Sans regain de croissance, l’Allemagne ne pourra pas non plus financer le renouvellement de ses infrastructures, qui sont pourtant nécessaires pour assurer son avenir. Une stagnation économique aurait aussi pour effet de freiner la mise en œuvre de son agenda écologique. Elle freinerait également les investissements du pays dans sa défense, dans un contexte où cette capacité semble plus nécessaire que jamais.

Cinq grands chantiers

De notre point de vue, le gouvernement allemand est confronté à cinq grandes priorités économiques :

1. Élargir la marge budgétaire

Le gouvernement n’a d’autre choix que d’investir massivement dans les infrastructures critiques et la capacité de défense du pays. Nous pensons dès lors que la levée du frein budgétaire est la bonne approche. Les investissements publics, financés par des dettes, pourraient être un moyen efficace de garantir la prospérité de l’Allemagne à long terme, pour autant que ces investissements soient réalisés de manière stratégique et disciplinée. Au cours de la décennie écoulée, l’Allemagne a créé de la flexibilité budgétaire en prévision de temps plus difficiles. Aujourd’hui, ces temps sont arrivés. Le rendement des baisses d’impôts et des investissements financés par des dettes devrait surpasser largement les coûts de financement. D’après nos estimations, un emprunt annuel net de 4% du produit intérieur brut (PIB) – pour autant qu’il soit investi judicieusement dans la défense et les infrastructures jusqu’à la fin de la décennie, et qu’il soit combiné à des réformes structurelles – est de nature à stimuler l’économie à court terme et à booster la croissance potentielle à 2% par an. De ce fait, la dette publique à long terme se maintiendrait à 75% du PIB (un niveau inférieur aux 80% du lendemain de la crise financière mondiale).

2. Investir dans une croissance durable

Les infrastructures physiques sont l’épine dorsale d’une économie. Pour atteindre l’équilibre budgétaire et réduire la dette publique à 60% du PIB, l’Allemagne a peu investi dans ses infrastructures publiques au cours des 20 dernières années. Les réseaux de transport doivent être modernisés d’urgence, tandis que l’infrastructure digitale reste fragmentaire. Plus impactant encore pour le dynamisme économique: le sous-investissement dans le secteur énergétique. Mais la carence la plus grave réside sans conteste dans l’absence d’investissements dans la défense. Si l’on prend comme critère l’objectif actuel de l’OTAN – 2% du PIB consacrés à la défense – l’Allemagne accuse un retard de 500 milliards d’euros dans ce domaine depuis 1990.

Graphique : Depuis 1990, l'Allemagne a investi 500 milliards d'euros trop peu dans sa défense

Sous-investissement cumulé par rapport à l'objectif OTAN de 2%

Graphique

Sources : Deutsche Bank Research, Service scientifique du Bundestag

3. Réduire la bureaucratie

Les entreprises citent de plus en plus souvent l’excès de réglementation et de bureaucratie comme obstacle principal à l’innovation, à l’investissement et à la concurrence. Le Nationale Normenkontrollrat estime à 65 milliards d’euros le coût annuel de la ‘compliance’ – autrement dit le coût direct de la bureaucratie – soit 1,5% du PIB. Dans les faits, le coût réel est probablement deux fois plus élevé. Autre facteur négatif : l’Allemagne n’a pas suffisamment modernisé et digitalisé son administration publique.

Bien qu’il soit difficile de quantifier l’impact sur la croissance d’une dérégulation substantielle, on estime qu’il pourrait être de 1 point de pour cent au minimum. Différentes mesures devraient contribuer à cet objectif. Au niveau européen aussi, le nouveau gouvernement allemand devrait utiliser plus efficacement son pouvoir d’influence, essentiellement pour obtenir un assouplissement de la réglementation relative à la capacité concurrentielle.

4. Promouvoir l’innovation

L’Union européenne investit annuellement 350 milliards d’euros en R&D, dont 120 milliards pour l’Allemagne. À titre de comparaison, les investissements américains se montent à 1.000 milliards d’euros. Ce différentiel a progressivement creusé un fossé technologique entre les deux rives de l’Atlantique, qui explique en grande partie la faible croissance de la productivité en Europe. À l’heure actuelle, l’Europe et l’Allemagne risquent de rater le train de l’IA, ce qui pourrait avoir pour effet d’accentuer la fuite des cerveaux.

Pour restaurer la capacité d’innovation de l’Allemagne, le nouveau gouvernement doit instaurer des incitants fiscaux et investir dans la culture d’entreprise. Une réduction de l’impôt des sociétés est de nature à contribuer substantiellement à cet objectif. Par ailleurs, le gouvernement devrait favoriser les retombées technologiques de l’industrie de la défense sur la recherche et le développement civils. Le système allemand des pensions devrait être davantage orienté vers le marché des capitaux, tant pour mobiliser le capital privé que pour en assurer la viabilité financière.

5. Au travail !

Malgré la progression du chômage en 2024, l’économie allemande est toujours en proie à un manque de travailleurs qualifiés. Si ce problème n’est pas résolu, une grande vague d’investissements pourrait avoir pour effet, à moyen terme, de favoriser l’inflation plutôt que la croissance.

Le gouvernement devrait donner la priorité aux incitants au travail et à la productivité. D’un point de vue économique, la priorité première ne devrait pas être d’obliger les individus à rejoindre le marché du travail, mais plutôt de récompenser l’ensemble de la population active et de l’encourager à travailler intensivement et productivement. Enfin, le marché du travail doit être libéralisé. Cette libéralisation ne s’applique pas seulement aux employeurs, mais la mobilité et l’appétence au risque des travailleurs devraient aussi être encouragées.

La dernière cartouche ?

L’économie allemande est confrontée à une stagnation chronique. Un coup de pouce s’impose pour la remettre sur le chemin de la croissance. Le nouveau gouvernement joue probablement ses dernières cartes, dans le but de préserver la prospérité pour les prochaines générations. Un surcroît d’investissements publics dans les infrastructures et la défense sont indispensables et peuvent être financés par l’expansion fiscale. Mais il ne suffit pas d’investir davantage. Pour accroître à terme le potentiel de croissance du pays, de profondes réformes structurelles sont également nécessaires.

Le présent article est inspiré d’une publication du Deutsche Bank Research Institute : What Germany’s economy needs now

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