Paierez-vous bientôt en euros digitaux ?

Banque au quotidien

Paierez-vous bientôt en euros digitaux ?

11 février 2022 - Lu en 4 min. 

Rédigé par

Wim D'Haese

Head Investment Strategist

En résumé :
  • La grande majorité des banques centrales envisagent de lancer leur propre devise digitale.
  • L’euro digital n’aurait pas pour vocation de remplacer l’argent liquide, mais bien de le compléter.
  • La Banque centrale européenne plafonnera plus que probablement le montant que vous pourrez posséder en euros digitaux.

« La seule chose que les banques aient inventée au cours des 20 dernières années, c’est le distributeur automatique. » L’auteur de cette déclaration de 2009 n’est pas un client mécontent, mais Paul Volcker, l’ex-président de la Fed (la banque centrale américaine)1. Plus de dix ans plus tard, le monde financier – et en particulier les paiements – a complètement changé de visage. En 2009, qui aurait pu imaginer des supermarchés sans caisse ? Ou le paiement par empreinte digitale, voire par une puce implantée sous la peau ?

Les banques centrales s’intéressent de près à la thématique des paiements. Plus de 80% d’entre elles envisagent de lancer leur propre monnaie digitale, que l’on appelle ‘govcoins’ ou CBDC (Central Bank Digital Currencies, ou monnaies digitales des banques centrales). Des projets pilotes sont en cours en Chine, au Canada, en Suède et en Afrique du Sud, notamment. Aux Bahamas, le ‘Sand Dollar’ a même déjà été érigé au rang de monnaie officielle. À l’instar de la Fed, la Banque centrale européenne (BCE) envisage de tester une déclinaison digitale de l’euro. Cette phase de test se prolongera jusqu’à la fin 2023, après quoi cette nouvelle monnaie digitale devrait être effectivement lancée.

Pourquoi un euro digital ?

Dans la zone euro, les particuliers et les entreprises ont accès depuis longtemps aux paiements digitaux en euros et aux comptes digitaux. Le projet d’instauration d’un euro digital est donc surtout motivé par des raisons politiques et stratégiques, et peut-être aussi par la crainte de rater le train du numérique. L’euro digital apporte en effet une solution à 4 problèmes :

1. Davantage de concurrence entre devises.

La BCE est confrontée pour la première fois de son histoire à une concurrence à l’euro dans son propre espace monétaire. Internet et la technologie du blockchain permettent en effet un transfert d’argent sécurisé, sans que les instances officielles soient impliquées dans le traitement, le contrôle ou l’archivage des transactions. Autrement dit, les nouvelles cryptomonnaies peuvent faire de l'ombre à l’euro.

2. La domination des acteurs étrangers.

Les paiements en euros sont de plus en plus dominés par des entreprises étrangères, surtout dans le commerce de détail. Quelque 80% des paiements réalisés au moyen de cartes en Europe sont traités par les sociétés américaines Visa et Mastercard2. Si cette tendance s’amplifie, il deviendra de plus en plus difficile de préserver la législation européenne et les moyens de paiement des citoyens et entreprises européens.

3. Les paiements en liquide sont en recul.

Les paiements en liquide limitent la part de marché des entreprises de paiement digital, car il s’agit d’un ‘concurrent’ à leurs services. Grâce au cash, tout le monde peut effectuer et accepter des paiements, sans frais ni restrictions d’accès. Cet aspect est important, car le marché du paiement a naturellement tendance à se concentrer entre quelques acteurs seulement. À terme, l’utilisation gratuite de l’euro digital serait un gage de concurrence dans ce secteur. C’est au demeurant l’objectif poursuivi par la banque centrale chinoise avec le lancement du renminbi digital, à savoir mettre à mal le duopole des géants Alipay et WeChat en matière de paiements mobiles.

4. Un instrument supplémentaire de gestion monétaire.

Un des problèmes auxquels sont confrontées les banques centrales réside dans l’obligation de passer par des maillons intermédiaires (les banques commerciales) pour ‘dicter’ leurs décisions aux particuliers et aux entreprises. Une monnaie digitale permettrait de réduire l’importance de ces intermédiaires, et donc l’effet de dilution des décisions. La BCE pourrait par exemple lancer des euros digitaux ‘durables’, réservés à la consommation éco-responsable. Ou assortir la monnaie digitale d’une date d’échéance, afin d’encourager les investissements et la consommation.

Comment l’euro digital se présentera-t-il concrètement ?

L’euro digital sera avant tout un euro. Comme son qualificatif l’indique, il existe toutefois uniquement sous forme numérique, et non comme billet ou pièce de monnaie. Il semblerait que le ‘revers’ invisible de l’euro digital sera géré par la Banque centrale européenne, à charge pour les banques commerciales d’en gérer la face visible (l’appli ou portefeuille contenant les euros digitaux). Quant à la gestion de votre compte et aux paiements, rien ne changera par rapport à votre appli bancaire ou plateforme de paiement actuelle. Plutôt que d’utiliser la blockchain, les transactions seront gérées via l’infrastructure de paiement existante.

L’euro digital ne remplacera pas l’argent liquide, mais le complétera. Selon toute vraisemblance, la BCE fixera un plafond au montant pouvant être détenu en euros digitaux, et ce afin de prévenir toute concurrence avec les banques commerciales et éviter de rendre obsolètes les comptes en banque classiques. Pour l’instant, un plafond de 3.000 euros serait envisagé. Tout ce qui excède ce plafond serait automatiquement transféré vers le compte en banque ordinaire. Toujours selon la BCE, la détention d’euros digitaux ne devrait pas produire d’intérêts, à nouveau pour éviter toute concurrence avec les banques traditionnelles.

La décision de lancer ou non l’euro digital ne sera pas prise avant la fin 2023. Si elle est positive, il faudra sans doute encore attendre plusieurs années avant que l’ensemble du dispositif soit opérationnel.

Des avantages uniquement pour la BCE, ou aussi pour vous ?

En conclusion, l’euro digital en tant que mode de paiement alternatif pourrait favoriser la souveraineté européenne, stimuler la concurrence dans le secteur des paiements et – pour autant que les précautions voulues soient prises – assurer une meilleure protection des données. Avec quels avantages pour le citoyen ? Disposer d’un moyen de paiement gratuit, sécurisé, rapide et universel. Si l’on en croit la Banque centrale européenne, la protection de la vie privée sera aussi l’une de ses priorités.

Reste à voir quel pourrait être le succès de cet euro digital dans la pratique. Sa motivation semble être avant tout politique et, en cas de désaffection des Européens, ce serait un échec cuisant. Jusqu’à présent, tout indique que les consommateurs ne percevront (presque) aucune différence entre l’euro digital et les moyens de paiement digitaux actuels. Le plafonnement du montant d’euros digitaux pouvant être détenus (à 3.000 euros) en réduirait en outre le pouvoir d’attraction, surtout s’il s’applique également aux entreprises. Affaire à suivre, donc.

Plus d’infos ?

Cet article est inspiré de deux études de Deutsche Bank : The digital euro – Political ambitions and economic realities (juillet 2021) et Central bank digital currencies: money reinvented (septembre 2020).

1 Source : https://www.ft.com/content/052f9310-5738-11e7-80b6-9bfa4c1f83d2
2 Source: https://www.spglobal.com/marketintelligence/en/news-insights/latest-news-headlines/european-banks-initiative-to-challenge-visa-mastercard-could-be-a-stretch-59322773

×