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La récente hausse des taux d’intérêt remet-elle en cause la viabilité de la dette ?

27 mai 2021 - Lu en 7 min

Rédigé par

David Ghezal

Investment Strategist

En résumé :
  • Les taux obligataires sont repartis à la hausse en 2021, alors que les dépenses publiques liées à la crise sanitaire ont alourdi les niveaux d'endettement.
    • Les taux d'endettement ne sont actuellement pas une menace pour la viabilité de la dette. Mais il n’en reste pas moins que des hausses de taux d’intérêt relativement faibles pourraient accroître sensiblement le coût du service de la dette - et la situation actuelle ne durera pas indéfiniment.
      • Les investisseurs devraient être préparés à un changement d'orientation - même limité - de la politique monétaire. Si les inquiétudes liées à la viabilité de la dette s'intensifient, les investisseurs en actions pourraient de plus en plus privilégier les actions de qualité supérieure.

      1. Introduction : légère hausse des taux, mais forte hausse de l’endettement

      Les taux obligataires sont remontés de part et d’autre de l’Atlantique depuis le début de l'année, même s’ils sont toujours proches de leurs plus bas historiques, surtout en zone euro. Les niveaux d'endettement ont également grimpé suite au choc inédit causé par la crise sanitaire.

      Si cette évolution a été observée à l’échelle globale, elle a surtout été visible dans les pays industrialisés, où selon le FMI, le taux d’endettement public a bondi de 20 points de pourcentage en 2020 pour atteindre en moyenne 125% du PIB. Cette augmentation des taux d’intérêt et de l'endettement soulève à nouveau la problématique de la viabilité de la dette.

      Dans cet article, nous nous concentrons sur les niveaux d'endettement et les taux d'intérêt dans les pays industrialisés, les facteurs jouant sur la capacité d’un pays à supporter sa dette et les risques pour la viabilité de la dette. Nous analysons aussi les implications pour les investisseurs.

      2. Questions liées à la viabilité de la dette

      Après leur très forte hausse en 2020, les niveaux d'endettement devraient encore augmenter, du moins à court terme. Dans de nombreux pays, la pandémie de coronavirus a entraîné des fermetures prolongées et un durcissement des restrictions cette année, invitant les gouvernements à prolonger leurs mesures de soutien. De plus, malgré des ratios dette publique/PIB déjà élevés, les États se sont engagés dans des plans de relance à plus long terme financés par de la dette, qui vont au-delà du soutien immédiat lié à la pandémie. Songeons par exemple au plan d'infrastructures (American Jobs Plan) de l’administration Biden ou au plan de relance européen (Next Generation EU).

      Par ailleurs, les autorités se montrent aussi beaucoup moins enclines à réduire les dépenses qu’après la crise financière mondiale (2007-2008). Comme l'a montré la crise de l'euro qui a suivi (2009-2012), une récession peut se transmettre à une autre si l’effort budgétaire est relâché trop rapidement.

      Qu'est-ce que cela signifie pour la viabilité de la dette?

      Les faibles taux d'intérêt contribuent à limiter le fardeau de la dette publique. Si on observe les paiements d'intérêts des gouvernements nationaux, la dette supplémentaire contractée ces dernières années a en fait réduit le taux d'intérêt moyen payé sur la dette totale dans de nombreux pays.

      Dans certains cas, lorsque le taux d'intérêt moyen des obligations en circulation est négatif, comme par exemple en Allemagne, l'effet peut même devenir positif. En émettant de la dette, l'État gagne en réalité de l'argent, sauf sur la partie très longue de la courbe des taux.

      Par conséquent, il y a pour le moment un consensus sur le fait qu’en cette période post-pandémique, des ratios dette publique/PIB élevés et en hausse ne sont pas une condition suffisante pour remettre en question la viabilité de la dette d'un pays.

      En outre, le Japon fournit également un parfait exemple de la confiance sous-jacente qui peut exister dans la solvabilité d’un État. Malgré l’augmentation constante de sa dette publique, le pays n'a pas connu de crise de la dette qui l'ait contraint à se restructurer et à se désendetter. A contrario, le cas de l'Argentine suggère que des niveaux d'endettement croissants dans les pays émergents peuvent aboutir à un chemin de restructuration long et pénible.

      Selon nous, la capacité d'un pays à supporter sa dette dépend des facteurs suivants :

      Le soutien de la banque centrale

      Tant qu'une partie de la dette en circulation est absorbée par la banque centrale de l'émetteur, les gouvernements ne sont pas soumis à une forte pression pour trouver des acheteurs pour leurs obligations. Il est courant que certaines banques centrales donnent des garanties explicites (via le contrôle de la courbe des taux) ou implicites (via des conditions de financement favorables) qu'elles maintiendront les taux à des niveaux bas. Il y a toutefois des limites à cela, par exemple en zone euro où les préoccupations publiques et la diversité des économies assureront un débat sur les priorités politiques.

      La croyance dans les intentions et les capacités des gouvernements à rembourser leur dette

      Les ratings sont un indicateur important à cet égard et qui participent aussi à déterminer le niveau des taux d'intérêt. Plus le rating d’un émetteur est élevé, moins les investisseurs sont susceptibles de mettre en doute la capacité d'un pays à supporter sa dette.

      La croissance économique doit être supérieure aux rendements moyens payés

      Tant que le taux de croissance économique des pays endettés est supérieur au rendement moyen de leurs obligations en circulation, les ratios dette publique/PIB diminueront en période d'équilibre budgétaire. Même en période d’importantes dépenses budgétaires, une croissance supérieure aux taux d'intérêt a un effet stabilisateur sur les ratios d'endettement.

      De légères variations des taux d'intérêt peuvent toutefois causer d'importantes difficultés budgétaires. Le Japon est à nouveau un exemple frappant. Si les taux d'intérêt moyens sur la dette publique venaient à augmenter de 0,50%, les charges d'intérêt annuelles supplémentaires pour le pays, dont le ratio dette publique/PIB est supérieur à 250%, s'élèveraient à plus de 1,2% du PIB. En d'autres termes, ajouter 0,50% aux coûts d'intérêt d'une dette de 12,2 trillions de dollars impliquerait des dépenses budgétaires supplémentaires de plus de 60 milliards de dollars par an.

      Le Japon est certes un cas extrême, mais ce simple calcul mathématique montre à quel point les emprunteurs publics en général sont dépendants des taux d'intérêt bas, et du lien croissant entre la dette publique et les bilans des banques centrales. Dans ce contexte, la capacité d'un pays à supporter sa dette dépend également des échéances des obligations en circulation et de la manière dont cela affecte les besoins de refinancement. À l'heure actuelle, il semble avantageux pour les gouvernements d’avoir la plupart des emprunts d'État sur des échéances courtes par rapport aux échéances plus longues - car la partie très courte de la courbe des taux est encore bien ancrée par rapport aux obligations à plus longue échéance. Mais le contraire pourrait être vrai à un autre moment du cycle économique.

      Ceci suggère que si la situation actuelle semble moins dramatique que lors de la crise de la zone euro de 2009-2012, elle n’en présente pas moins une fragilité inhérente et que les pays avec des ratios dette publique/PIB plus élevés restent plus sensibles aux chocs exogènes que les pays moins endettés. Comme l'a démontré la crise de la zone euro, les primes de risque peuvent augmenter très rapidement lorsque la confiance dans la crédibilité d'un pays est remise en cause.

      3. Implications pour les investissements

      Une hausse des taux obligataires a diverses conséquences pour les investisseurs. Pour les investisseurs obligataires, elle augmente l'attrait des nouvelles obligations mais un autre résultat tangible est aussi une baisse des cours des obligations existantes. Pour les investisseurs en actions, une hausse des taux d’intérêt n'est ni bonne ni mauvaise en général, mais cela dépend beaucoup de la raison pour laquelle les taux augmentent. Une hausse des taux d’intérêt due à une amélioration des perspectives économiques tend à être favorable pour les actions, même si une augmentation rapide peut s'avérer plus difficile à digérer.

      Se préparer à un changement d’orientation de la politique monétaire

      Quoi qu’il en soit, les investisseurs devraient être préparés à un changement d'orientation de la politique monétaire, du moins dans une certaine mesure. Dans la zone euro, la BCE mettra sans doute fin à ses achats nets d'actifs dans le cadre du programme d'achats d'urgence face à la pandémie (PEPP) l’an prochain. Une réduction du rythme des achats nets d'actifs devrait très probablement intervenir encore plus tôt, peut-être dès le 3e trimestre 2021. Bien qu'une courte extension du PEPP ou une augmentation temporaire du programme d'achat d'actifs (APP) soit possible, cela pourrait créer une situation inconfortable pour certains investisseurs en obligations périphériques ou d'entreprises.

      Une reprise rapide de l'économie américaine et un environnement reflationniste amèneront aussi la Fed à diminuer ses achats d’obligations à un moment donné dans le futur. Une fois le cap de la normalisation monétaire fixé, les marchés feront davantage la différence entre les pays et commenceront à s'interroger sur leur capacité à supporter leur dette. De plus, même si la politique monétaire reste très souple pour le moment, son effet stimulant devrait peu à peu s'estomper. Cela aura aussi des répercussions sur les économies et les marchés.

      Pics de taux de croissance bientôt derrière nous

      Par ailleurs, l'espoir que de nombreux gouvernements puissent simplement se désendetter par la croissance est peut-être aussi prématuré. Bien que nous anticipions une poursuite de la croissance dans les grandes économies mondiales, les pics des taux de croissance seront bientôt derrière nous et les indicateurs avancés sont aussi en train de plafonner. En cas de crise future, les niveaux d'endettement élevés pourraient constituer un obstacle à de nouvelles mesures de relance budgétaire. Cela dit, les faibles rendements actuels et le stimulus budgétaire sont favorables à l'économie. Une hausse des taux obligataires pourrait ne pas altérer les perspectives générales tant qu'elle reflète une amélioration de la conjoncture.

      Sélectionner des entreprises de qualité supérieure

      Une hausse des taux d’intérêt aura également une incidence sur la dette du secteur privé, et pas seulement pour les obligations d'entreprises. Les investisseurs en actions seront également impactés. La politique monétaire ultra-souple menée par les grandes banques centrales a permis à beaucoup d’entreprises très endettées et à peine rentables de survivre. Ces entreprises de moindre qualité peuvent connaître des moments propices à l'investissement, généralement aux premiers stades d'un nouveau cycle de marché, quand les banques centrales sont très accommodantes et que les perspectives des entreprises qui semblaient vouées à l'échec tendent à s'améliorer.

      Mais ces entreprises de moindre qualité peuvent commencer à éprouver des difficultés lorsque la viabilité de la dette redevient un sujet de préoccupation. A ce moment, le sentiment général des investisseurs se dégradera et les entreprises de qualité supérieure1 performeront à nouveau mieux. Habituellement, ces entreprises de qualité supérieure ont tendance à mieux se comporter lors des ralentissements économiques ou en périodes de stress, comme lors de la crise financière mondiale ou lors de l’abaissement du rating des États-Unis en 2011. Mais elles peuvent également bien se comporter dans l'environnement actuel, même avec une croissance économique forte, si les inquiétudes concernant la viabilité de la dette augmentent.

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      (uniquement disponible en anglais) 

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      1 Nous considérons que les entreprises de qualité supérieure sont celles qui tendent à présenter moins de risques financiers grâce à des bilans plus sains, avec un endettement financier plus faible et des liquidités plus importantes, et qui sont constamment rentables avec une faible volatilité des bénéfices/du chiffre d’affaires et des marges bénéficiaires plus élevées.

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