France : marchés volatiles à l’approche des élections anticipées

Marchés & Investissements - 18 juin 2024

France : marchés volatils à l’approche des élections anticipées

Rédigé par Dr. Dirk Steffen - Chief Investment Officer EMEA, Wolf Kisker - Senior Investment Strategist, Ahmed Khalid - Investment Strategist, Patrick Kellenberger - Investment Strategist

En résumé :
  • Suite à l’annonce d’élections législatives anticipées, la volatilité des actions et des obligations françaises devrait probablement persister au moins jusqu’au 8 juillet (soit un jour après le second tour des élections législatives).
  • La réaction négative du marché semble justifiée, étant donné que l’incertitude politique en France reste élevée. Un éventuel gouvernement dirigé par le « Rassemblement National » (RN) pourrait générer davantage de volatilité en raison des déficits budgétaires excessifs. Cependant, même dans ce cas, le pragmatisme économique devrait prévaloir.
  • Les problèmes sont spécifiquement liés à la politique française. Pendant ce temps, l’économie de la zone euro devrait s’accélérer ; les entreprises européennes sont généralement en bonne santé.
  • Les investisseurs ayant un horizon d’investissement à moyen terme peuvent commencer à rechercher des opportunités d’investissement en Europe.

Que s’est-il passé ?

A la suite de la défaite de son parti aux élections législatives européennes du 9 juin, le président français Emmanuel Macron a dissous le Parlement français. Il a également convoqué des élections anticipées pour le 30 juin, avec un second tour décisif prévu le 7 juillet. Depuis lors, les marchés sont de plus en plus préoccupés par un éventuel changement de gouvernement qui s’accompagnerait d’un changement politique. Cela pourrait mettre la deuxième économie de la zone euro en porte-à-faux avec la Commission européenne et conduire à un assouplissement de la politique budgétaire.

Le 31 mai, S&P Global Ratings avait déjà abaissé sa note de crédit à long terme de la France à AA- (contre précédemment AA), en raison de la détérioration du ratio dette/PIB, atteignant actuellement 110% - soit le troisième ratio le plus élevé après la Grèce et l’Italie – et un déficit budgétaire plus élevé que prévu, à savoir -5,5% en 2023.

Alors que le second mandat de Macron se termine en mai 2027 et n’est pas un enjeu pour les prochaines élections, une perte de la majorité parlementaire et un changement de gouvernement qui en résulterait entraîneraient ce que l’on appelle une « cohabitation ». Alors que Macron, en tant que président français, reste responsable de la défense et de la politique étrangère, le nouveau Premier ministre potentiel, ainsi que le nouveau cabinet de ministres, prendraient le contrôle politique de l’agenda national, y compris de la politique économique, de la sécurité, de l’immigration et du budget. Cela pourrait également avoir une incidence sur d’autres domaines politiques, puisque le Parlement français devrait approuver le budget français.

Bien que le système à deux tours des élections législatives françaises désavantage souvent les partis non centristes, certains des groupes plus extrêmes ont modéré leur programme, augmentant ainsi l’incertitude quant au résultat des élections. Outre un scénario de statu quo, dans lequel le groupe centriste Renaissance de Macron et ses alliés resteraient au pouvoir, il existe deux autres issues à surveiller : (1) un gouvernement minoritaire d’extrême droite ou une coalition centriste plus large incluant le centre-gauche, ces deux scénarios étant susceptibles de conduire à une impasse politique avec un ajustement budgétaire plus lent mais un impact économique global limité, et (2) une majorité absolue pour le parti d’extrême droite Rassemblement National (RN) avec un mandat de gouvernance clair.

Que disent les sondages ?

Selon les derniers sondages, Ensemble ! de Macron (jusqu’à présent le groupe le plus important au Parlement) obtiendrait 19% des voix, derrière le RN qui est actuellement le principal parti d’opposition. Le Nouveau Front Populaire (NFP), une alliance de gauche-verts entre la France Insoumise (LFI), les Socialistes (PS), les Communistes et les Verts (EELV), pourrait obtenir jusqu’à 30% des voix.

Etant donné que le RN n’a pas encore présenté son programme pour les prochaines élections anticipées, un aperçu de ses propositions lors des dernières élections législatives de 2022 peut donner une indication. Les propositions du RN comprenaient alors :

  • L’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans
  • La renationalisation des autoroutes à péage
  • L’exonération de l’impôt sur le revenu des travailleurs de moins de 30 ans
  • La suppression des droits de succession pour les familles à faibles et moyens revenus
  • La réduction de la TVA sur l’essence, le mazout, l’électricité et le gaz de 20% à 5,5%
  • L’augmentation des dépenses de santé de 20 milliards d’euros

Certains analystes estiment que le coût de ces mesures pourrait atteindre 100 milliards d’euros, soit plus de 3,5% du PIB français. Les marchés craignent qu’une politique budgétaire aussi expansionniste ne pousse le déficit budgétaire déjà élevé de la France (-5,5% du PIB) au-delà de la limite fixée par l’Union européenne (UE) de -3%, augmentant ainsi la probabilité d’une procédure de déficit excessif dans la deuxième économie de la zone euro.

Inquiétude sur les marchés

A l’autre extrémité du spectre politique, le Front Populaire – une coalition de quatre partis de gauche – a dévoilé la semaine dernière un manifeste qui a suscité des inquiétudes sur les marchés. Le groupe prévoit de démanteler la plupart des réformes économiques du président Macron et de mettre le pays sur une trajectoire de collision avec l’Union européenne en matière de politique budgétaire, rejetant le pacte budgétaire de l’UE sur les limites de la dette et du déficit, et proposant un plan européen d’urgence climatique et social.

Les marchés craignent qu’un nouveau gouvernement dirigé par le RN en France n’entraînent encore plus de volatilité. De plus, la France a l’un des budgets les plus déficitaires de la zone euro, avec un déficit qui dépasse largement le seuil de 3% fixé par l’UE.

Cependant, même en cas de victoire du RN et d’un scénario de cohabitation, le nouveau Premier ministre et son cabinet pourraient se retrouver dans une position où le pragmatisme politique s’avérerait être la meilleure stratégie de survie politique, ouvrant la voie à une politique moins drastique que celle annoncée en période électorale.

Comment les marchés financiers ont-ils réagi ?

La perspective d’une période prolongée d’incertitude politique en France s’est reflétée sur les marchés financiers : l’indice boursier français de référence, le CAC 40, a perdu environ 7% en une semaine, effaçant tous les gains accumulés depuis le début de l’année.

Le spread OAT (Obligations Assimilables du Trésor), c’est-à-dire l’écart de rendement entre les obligations d’Etat françaises (OAT) et allemandes (Bund) à 10 ans, a augmenté pour atteindre 78 points de base, son plus haut niveau depuis 2017. La semaine dernière, le spread a augmenté d’environ 30 points de base, la plus forte hausse sur une période aussi courte depuis 2011.

Sur les marchés des devises, l’euro s’est fortement affaibli par rapport à la plupart des devises du G10. En particulier face aux devises refuges telles que le franc suisse (CHF), la devise est tombée à son plus bas niveau depuis début mars : EUR/CHF 0,95. Par rapport au dollar américain, l’euro est passé pour la première fois depuis début mai en dessous de EUR/USD 1,07. Les marchés d’options ont connu une forte hausse des prix des couvertures contre une nouvelle baisse de l’euro ainsi qu’une augmentation de la volatilité à court terme.

Les actions des principales banques françaises ont chuté de 11 à 14% depuis le vendredi 7 juin, dernier jour de cotation avant les résultats des élections européennes. Sous la direction des banques françaises dans l’indice, le secteur bancaire européen (STOXX 600 Banks Index) a baissé de 5%.

Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs ?

Nous nous attendons à ce que les spreads OAT/Bund restent élevés dans les semaines à venir, jusqu’à ce qu’il y ait une clarté politique et une visibilité sur les politiques à venir. Les précédentes ventes massives d’OAT par rapport aux Bunds peuvent servir de point de référence, la plus important datant de 2011, lors de la crise de la zone euro, lorsque l’écart entre les deux atteignait environ 190 points de base. Les événements de cette époque constituaient un problème structurel pour l’ensemble de la région, que l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel avait qualifiés de « plus grand test auquel l’Europe a été confrontée depuis la signature du Traité de Rome en 1957 ». Cette fois-ci, l’élément déclencheur est purement politique, de sorte que nous ne voyons pas beaucoup de parallèles entre les deux. La référence la plus appropriée est l’élection présidentielle française de 2017, lorsque les spreads avaient atteint 80 points de base. Les spreads actuels sont déjà à ce niveau et devraient probablement rester élevés au moins jusqu’au 7 juillet. Cependant, nous voyons de la valeur dans des obligations françaises à long terme à ces niveaux de spread élevés, une fois que la poussière sera retombée et qu’il y aura plus de clarté.

Une détérioration des conditions de financement national pourrait non seulement entraver la croissance de la France, mais aussi conduire à un resserrement des conditions financières – notamment en augmentant les taux d’intérêt auxquels les banques françaises peuvent emprunter de l’argent sur les marchés des capitaux. De plus, les marchés évaluent les risques d’une taxe sur les bénéfices excédentaires. Jusqu’à présent, cependant, rien n’indique que la droite française pourrait prendre des mesures punitives. Les banques françaises sont déjà confrontées à une réglementation stricte en matière de dépôts et de prêts.

Bien que la volatilité puisse rester élevée jusqu’à ce que les investisseurs obtiennent plus de clarté sur l’avenir politique de la France, les fondamentaux du secteur financier restent solides. Les banques françaises et européennes sont bien capitalisées (ratio CET1 d’environ 12,5% et 14%), tandis que le ratios cours/bénéfices ne semblent pas excessifs (7,1 et 7,2 sur la base des bénéfices attendus en 2024). Cela devrait permettre aux banques européennes de consacrer 10% à 11% de leur capitalisation boursière par an à la rémunération des actionnaires pour cette année et les deux années à venir.

Cela dit, le second tour décisif des élections est prévu pour le 7 juillet. Au cours de la période précédant les élections et des semaines qui suivront, les investisseurs peuvent s’attendre à ce que la volatilité des marchés reste nettement plus élevée qu’auparavant. Si la politique budgétaire après les élections s’avère moins expansive que ce que les marchés anticipent actuellement, cela pourrait ouvrir des possibilités de reprise pour les actions bancaires, le CAC 40 et les obligations d’Etat françaises.

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