Le traitement égalitaire des enfants est une question fréquemment évoquée par les pères et mères de famille lorsqu’ils envisagent la transmission successorale de leur patrimoine. De manière générale, cette question renvoie à une préoccupation bien légitime des parents qui souhaitent éviter ou réduire au maximum tout risque de conflit, de contestation voire de discussion entre leurs enfants à un moment aussi délicat que celui de leur succession.
L’égalité entre enfants doit-elle pour autant se concevoir de manière purement mathématique ou est-il permis aux parents de rechercher plutôt un juste équilibre entre leurs enfants en tenant compte de facteurs propres à la situation familiale? Un enfant pourrait, par exemple, se trouver dans une situation plus précaire que ses frères et sœurs ou, au contraire, il pourrait déjà avoir bénéficié d’un avantage par rapport à eux.
Les lignes qui suivent visent à dresser quelques considérations autour de l’égalité entre enfants dans le cadre successoral au regard de ce que notre droit prévoit et permet aujourd’hui.
Prenons l’exemple de François, veuf, 65 ans. Il a 2 enfants et 1 petit-enfant :
François réfléchit à la transmission de son patrimoine dans une optique successorale. Il est conscient que son fils aurait besoin d’un coup de pouce supplémentaire mais malgré tout, il est pour lui essentiel d’éviter que l’un de ses enfants se sente lésé par rapport à l’autre et que des tensions apparaissent à la suite de son décès. Il se pose notamment les questions suivantes :
Comment le droit successoral règle-t-il la question de l’égalité entre ses enfants en tant qu’héritiers ? Et que se passe-t-il s’il leur fait une donation ? Doit-il nécessairement faire une donation à ses deux enfants afin de préserver l’égalité entre eux et, le cas échéant, cette donation doit-elle être identique ? Du côté de sa fille, une donation faite directement à son petit-fils est-elle envisageable ? Est-il possible de tenir compte de la situation financière plus fragile de son fils, par rapport à celle de sa fille, en l’aidant plus ou encore de tenir compte du financement d’une année d’études dont sa fille a bénéficié dans une université américaine ? Comment procéder afin d’éviter toute discussion ultérieure entre les enfants ?
Notre droit successoral traite les enfants (descendants en ligne directe) de manière égale dans le cadre de la succession de leurs père et mère. En effet, en l’absence de dispositions spécifiques prises par un père ou une mère défunte, chacun de ses enfants (héritiers) est appelé à recevoir une part égale dans la succession de son parent.
Pour rappel, les enfants sont des héritiers réservataires dans la succession de leurs parents. A ce titre, la moitié du patrimoine de leurs parents reconstitué au moment de la succession constitue leur réserve héréditaire globale (la réserve héréditaire individuelle de chacun équivalant à cette moitié divisée par le nombre d’enfants). L’autre moitié constitue la quotité disponible dont les parents peuvent disposer librement, que ce soit par donation ou par testament.
Si François vient à décéder sans avoir entrepris de planification successorale, ses deux enfants reçoivent chacun la moitié des biens de sa succession. Ces deux enfants disposent par ailleurs d’une réserve héréditaire individuelle d’un quart chacun du patrimoine de leur père reconstitué au moment de son décès.
Si François faisait de son vivant des donations à ses deux enfants ou uniquement à l’un d’eux, on peut se demander si, et dans quelle mesure, l’égalité entre ses enfants serait toujours assurée dans l’optique de sa succession future.
Il faut distinguer deux types de donation faite à ses enfants, la donation rapportable et la donation non rapportable.
A défaut de volonté contraire exprimée par le donateur, le droit successoral considère toute donation faite à un enfant (en tant qu’héritier en ligne directe descendante) par son père ou sa mère comme étant une avance sur sa part future dans la succession du parent donateur. On parle également de donation « faite en avance d’hoirie » ou « rapportable ». Un traitement égal entre enfants est de ce fait garanti étant donné que ce que chaque enfant (héritier) reçoit par donation sera pris en compte au décès du parent donateur pour déterminer sa part dans la succession. En effet, à ce moment-là, l'enfant qui hérite doit rapporter sa donation à la masse des biens de la succession du parent donateur défunt avant d’en réaliser un partage égal entre tous les enfants héritiers. Ce qu’il a reçu par donation du vivant de son ou ses parents est en quelque sorte repartagé avec ses frères et sœurs au moment de leur décès, l’égalité est donc préservée.
Mais attention, seules les donations au sens du droit civil sont rapportables. Certains avantages octroyés par les parents à leurs enfants, ou à certains d’entre eux, ne sont pas des donations et ne sont donc pas rapportables. Il s’agit notamment d’avantages découlant du financement d’études à l’étranger, de fêtes de mariage, du fait d’être logé gratuitement dans un bien appartenant aux parents. Ces avantages restent définitivement acquis à leur bénéficiaire et n’entrent, en principe, pas en ligne de compte pour rétablir une égalité entre les enfants à la succession de leurs parents.
Depuis la dernière réforme du droit successoral, le rapport s’effectue en principe en valeur, c’est-à-dire sous la forme d’une somme d’argent équivalente à la valeur de ce bien (et non en rapportant le bien donné en nature).
Mais quelle valeur du bien donné doit-on prendre en compte pour déterminer le montant à rapporter à la succession du parent donateur ?
Il est possible de déroger à cette exception en rétablissant la règle de base, soit le rapport du bien donné à sa valeur au jour de la donation. Attention toutefois, cette dérogation nécessite de conclure un pacte successoral et requiert donc l’accord des autres enfants (cohéritiers du donataire concerné) du parent donateur ainsi que l’accomplissement de quelques formalités.
Ce dernier point mis à part, il n’est pas possible de déroger à ces règles de valorisation des biens donnés pour les besoins du rapport. Il n’est, par exemple, pas possible de supprimer l’indexation de la valeur du bien lorsqu’elle s’applique. A noter enfin que ces règles de valorisation des donations à rapporter s’appliquent quelle que soit la nature du bien donné, mobilier ou immobilier.
La donation rapportable offre donc une grande flexibilité aux parents donateurs souhaitant préserver l’égalité entre leurs enfants dans l’optique de leur succession. Il leur est possible de donner soit uniquement à un de leurs enfants, soit à tous leurs enfants. Dans ce dernier cas, ils peuvent décider de faire une donation, par exemple, d’un bien immobilier à l’un et de liquidités ou des titres à un autre, les donations ne devant pas nécessairement être d’une valeur identique, ni être faites au même moment. Il est même possible pour les parents de leur donner en pleine propriété ou de se réserver un usufruit en fonction de leurs objectifs personnels. En toute hypothèse, chaque donation doit faire l’objet d’un rapport par son bénéficiaire en tant qu’héritier au moment de la succession des parents donateurs. Comme indiqué supra, la valorisation des biens donnés à rapporter dépend du type de donation réalisé.
S’il en exprime la volonté, un parent a la possibilité de ne pas traiter ses enfants sur un même pied d’égalité mais d’avantager l’un ou l’autre dans une optique successorale. Il doit pour cela réaliser une donation non rapportable (on parle également de donation faite « par préciput et hors part »). Cette donation n’est alors pas considérée comme une avance sur la part successorale du donataire dans la succession future du parent donateur mais comme lui revenant en plus de cette part successorale. Elle ne doit faire l’objet d’aucun rapport à ce moment-là.
Attention toutefois, cette possibilité n’est pas sans limite. Une donation non rapportable faite à un enfant ne peut porter atteinte à la réserve héréditaire de ses frères et sœurs. Si tel est le cas, les enfants lésés peuvent demander la réduction de la donation en question afin de reconstituer au minimum leur réserve héréditaire.
Conscient de la situation de son fils, François a la possibilité de l’avantager par rapport à sa sœur en lui faisant une donation non rapportable. Il a la liberté de le faire en disposant de sa quotité disponible, autrement dit, tant qu’il ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire de sa fille, pas de problème. Mais même si la loi le lui permet, François ne souhaite a priori pas procéder de cette façon, craignant que cela génère des discussions entre ses enfants au moment de sa succession. Même si sa fille n’a pas besoin de bénéficier d’une donation étant donné sa situation, François ne souhaite pas qu’elle reçoive globalement moins que son frère dans le cadre de sa succession.
François décide plutôt de faire une donation rapportable uniquement à son fils. Cela lui permet d’aider son fils de son vivant et même s’il ne fait pas de donation à sa fille, l’égalité entre ses enfants sera rétablie au moment de sa succession.
La fille de François n’ayant pas spécifiquement besoin d’un coup de pouce comme son frère, elle se demande si son père ne pourrait pas faire directement à son fils (le petit-fils de François) la donation qui lui serait destinée. Mais dans une telle hypothèse, les deux enfants de François, ou du moins les deux branches de la famille qu’ils représentent, sont-ils toujours bien traités de manière égale dans l’optique de la succession future de leur père ?
Une simple donation de François directement à son petit-fils ne le permet pas. Cette donation n’est en effet pas rapportable à la succession de François étant donné que son petit-fils n’est pas son héritier légal et ne doit par conséquent pas rapporter cette donation. La fille de François n’a pas non plus l’obligation de rapporter cette donation dont elle n’est pas la bénéficiaire et qui ne saurait être considérée comme une avance sur sa part successorale. La masse des biens à partager entre les enfants de François se trouverait réduite à concurrence de cette donation au petit-fils, au détriment du fils de François.
Heureusement, la dernière réforme du droit successoral a apporté une réponse à ce type de situation. François donne au fils de sa fille et cette dernière s’engage à rapporter cette donation faite à son enfant, on parle dans ce cas d’un « rapport pour autrui ». On fait en quelque sorte comme si la fille de François avait elle-même bénéficié de la donation qui est alors considérée comme une avance sur sa part successorale future. Dans ce cas, les deux branches représentées par les enfants de François restent traitées de manière égale.
Cette technique constitue un pacte successoral entre les trois parties impliquées qui doivent intervenir à l’acte de donation. Le notaire doit en outre respecter un certain formalisme visant à s’assurer que les parties sont bien conscientes des conséquences de ce qu’elles font.
Comme évoqué précédemment, François souhaite avant tout la tranquillité d’esprit en réduisant au maximum tout risque de discussion entre ses enfants au moment de sa succession. Il a donc préféré préserver l’égalité entre ses enfants et a fait une donation rapportable uniquement à son fils. Il n’empêche que son fils se trouve dans une situation bien moins confortable que sa sœur et François se demande s’il y a une quelconque possibilité d’en tenir compte afin de traiter ses enfants de manière équilibrée plutôt que sur base d’une égalité mathématique et ce, de l’accord de tout le monde et en toute transparence. En outre, François estime normal de pouvoir tenir compte du financement des études à l’étranger dont seule sa fille a bénéficié, cela représente un coût important.
Le pacte successoral global instauré par la récente réforme du droit successoral s’avère être une piste de réflexion intéressante pour François. Cet instrument vise à répondre à une volonté fréquemment exprimée par les citoyens de pouvoir, en toute transparence, régler anticipativement certains aspects de leur succession de leur vivant au travers d’une convention signée entre un père et/ou une mère et tous leurs enfants, futurs héritiers en ligne directe descendante.
Ce pacte global a pour objet de constater l’existence d’un équilibre entre les enfants en tenant compte des donations ou avantages dont ils ont tous, ou certains d’entre eux, déjà bénéficié ainsi que de leur situation personnelle. Il n’est donc pas requis qu’il existe une égalité mathématique entre ce que chaque enfant a reçu, mais bien un équilibre subjectif.
Pour établir cet équilibre entre les enfants, il est possible pour les parents de tenir compte de tout avantage octroyé à certains d’entre eux et ce, au même titre que toute donation, même si un avantage n’est pas une donation au sens du droit successoral (voir ci-dessus). En outre, l’équilibre subjectif constaté entre les enfants permet également de prendre en compte la situation personnelle de chacun. Il s’agit par exemple de l’état de fragilité dans lequel certains se trouvent (chômage, incapacité de travail, handicap, …) ou au contraire l’état de confort dans lequel certains se trouvent (situation professionnelle très privilégiée, état de fortune, …). Sur cette base, une situation où un enfant reçoit plus qu’un autre, voire où l’un ne reçoit rien, peut très bien être considérée comme étant équilibrée. Il convient seulement de justifier cet équilibre dans le pacte.
Attention, il ne faut pas confondre le pacte successoral global avec un testament. Le pacte n’est pas un instrument permettant anticipativement de s’accorder sur le partage des biens qui composeront la succession des parents, cela ne peut se faire que par testament.
La signature du pacte par toutes les parties a pour conséquence dans le chef des enfants qu’ils acceptent l’équilibre constaté entre eux et qu’ils renoncent (1) à exiger le rapport des donations visées dans le pacte à la succession des parents et (2) à les contester afin de préserver leur réserve héréditaire. Ces donations disparaissent donc définitivement du partage de la succession future des parents, les compteurs sont en quelque sorte remis à zéro dès la conclusion du pacte.
Un pacte global signé par François et ses enfants permettrait de constater un équilibre atteint entre ses enfants en tenant compte non seulement de la donation faite à son fils, de l’avantage dont sa fille a bénéficié (le financement d’une année d’études aux USA), mais également de la situation financière fragile de son fils. Par conséquent, la donation faite à son fils ne devra plus être rapportée à la succession de son papa, elle lui sera définitivement acquise. Le reste du patrimoine de François sera par ailleurs partagé en deux parts égales entre ses enfants au moment de sa succession.
La donation rapportable est un instrument de planification intéressant et flexible qui permet à des parents d’aider dans l’immédiat leurs enfants (ou certains d’entre eux) de manière différenciée, tout en préservant l’égalité entre eux dans le cadre du partage de leur succession future.
Si certains enfants, déjà bien installés dans la vie, proposent à leurs parents de faire une donation directement à leurs petits-enfants, un tel saut de génération est envisageable en maintenant une égalité de traitement entre les différentes branches de la famille. La technique du rapport pour autrui de la donation concernée permet d’atteindre cet objectif.
Enfin, la conclusion d’un pacte successoral global entre parents et enfants leur permet de constater, d’expliquer et d’accepter un traitement équilibré entre ces derniers, tenant compte non seulement de donations et/ou d’avantages dont ils ont bénéficié mais également de la situation personnelle de chacun d’eux. Il est donc possible de sortir d’une logique d’égalité purement mathématique entre les enfants et ce, de manière transparente et juridiquement sûre. Le risque de discussion entre les enfants s’en trouverait amoindri et la tranquillité des parents renforcée.
Si vous souhaitez de plus amples informations ou si vous désirez élaborer un planning successoral personnalisé, contactez votre conseiller, un notaire et/ou le service ‘Estate Planning - Private Banking’ de Deutsche Bank.
2 mars 2022
Le présent article ne constitue ni un conseil fiscal ni un conseil juridique. Le traitement fiscal dépend de la situation individuelle du client et est susceptible de changer à l’avenir. Lorsqu’il est fait référence à un régime fiscal, celui-ci doit être compris comme le régime fiscal applicable à un client de détail moyen en qualité de personne physique résidant en Belgique.