Inversion de la courbe des taux : quelles implications pour les investisseurs ?

Marchés et investissements - 27 septembre 2024

Inversion de la courbe des taux : quelles implications pour les investisseurs ?

Rédigé par Wim D'Haese - Head Investment Strategist 

La courbe des taux est une boussole importante pour les investisseurs et les décideurs politiques. Dans le monde financier, ce graphique fournit des informations sur les attentes économiques et le sentiment du marché. Tout ce que vous devez savoir sur la courbe des taux en 9 questions-réponses...

1. Qu’est-ce que la courbe (normale) des taux ?

Normalement, les obligations de longue durée sont assorties d’un taux supérieur à celui des obligations de plus courte durée. Cette différence s’explique par le fait que l’émetteur des obligations peut disposer de votre argent plus longtemps. Plus votre engagement s’inscrit dans la durée, plus élevée est la rémunération que vous pouvez en attendre.

Si vous investissez dans une obligation à 10 ans, vous prenez en outre un risque plus grand que lorsque vous placez votre argent dans une même obligation à 1 an. Un État ou une société peut être en bonne santé financière aujourd'hui, mais pas nécessairement dans 10 ans.

Pour compenser cet engagement de plus longue durée et de surcroît d’incertitude, les investisseurs s’attendent à bénéficier d’une rémunération plus élevée. Graphiquement, cette attente se traduit par une courbe des taux croissante : plus la durée est longue, plus le taux est élevé. La courbe des taux est le graphique qui trace l’évolution du taux en fonction de la durée de l’investissement.

Courbe des taux

2. Qu’est-ce qu’une courbe des taux inversée ?

Dans certaines circonstances, la courbe des taux s’inverse : le taux d'intérêt diminue lorsque la durée augmente. Lorsque c’est le cas, le taux à court terme est supérieur au taux à long terme. Les investisseurs perçoivent donc un rendement plus élevé de leurs obligations de courte durée que de leurs obligations de longue durée. La courbe des taux est alors inversée.

Courbe des taux inversée

3. Les médias financiers évoquent souvent la ‘courbe des taux’. De quoi s’agit-il ?

Lorsqu’ils parlent de ‘courbe des taux’, les médias évoquent généralement la courbe des taux d'intérêt des obligations souveraines, et en particulier de celles des États-Unis. C’est la U.S. Treasury yield curve. L’évolution de cette courbe de taux est l’une des plus scrutées au monde, car elle est un baromètre de l’économie en général et est souvent utilisée en tant que référence pour d’autres courbes, comme par exemple celle des obligations d’entreprises.
L’U.S. Treasury yield curve représente les taux d'intérêt d’obligations souveraines de différentes durées, allant de titres à court terme (3 mois, par exemple) à des obligations à long terme (30 ans, par exemple). Si le taux à 2 ans est supérieur au taux à 10 ans, la courbe des taux est inversée.

Dans le contexte européen, on se concentre généralement sur la courbe des taux des obligations souveraines allemandes (Bunds), car l’Allemagne est la plus grande économie de la zone euro. Là aussi, la même règle est d’application : si le taux à 2 ans est supérieur au taux à 10 ans, la courbe des taux est inversée.

4. Depuis quand la courbe des taux était-elle inversée ?

Outre-Atlantique, la courbe des taux a commencé à s’inverser en juillet 2022. Depuis lors et à l’exception d’une courte période, le taux d'intérêt des obligations souveraines américaines à 2 ans était supérieur à celui des treasuries de longue durée (10 ans).

Dans la zone euro, la courbe a entamé son inversion en novembre 2022. Depuis lors, le taux d'intérêt des obligations souveraines allemandes à 2 ans était supérieur à celui des bunds de longue durée (10 ans).

Depuis septembre de cette année, les courbes de taux aux États-Unis et dans la zone euro sont revenues à la normale, après environ 2 ans d’inversion.

5. Pourquoi la courbe des taux était-elle inversée ?

Pour trouver l’explication à ce phénomène, il faut remonter le temps. Durant la pandémie, l’économie a tourné au ralenti : les stocks se sont amenuisés, la production a chuté et les investissements ont été différés. Dès que le spectre du covid a commencé à s’éloigner, la demande en biens et en services a subitement flambé. Comme l’offre n’a pas pu suivre et que la chaîne d'approvisionnement connaissait des ratés, une pénurie s’est installée et les prix ont augmenté (inflation).
Après plusieurs années de faible inflation, cette augmentation des prix a été accueillie comme une bonne nouvelle. Du moins dans un premier temps. Après quelques mois, il est cependant apparu que cette inflation était trop forte et trop rapide. Les banques centrales ont réagi en haussant sensiblement leurs taux directeurs, afin d’inciter les acteurs économiques à épargner davantage, plutôt que de dépenser leur argent et de contracter des emprunts. Les grands argentiers ont atteint leur but : enrayer l’inflation.
À ce stade, il est important de noter que les taux directeurs s’appliquent essentiellement aux faibles durées de la courbe des taux. Lorsque le taux directeur est élevé – comme ces deux dernières années – il est plus intéressant pour les banques de confier à la banque centrale l’épargne qu’elles récoltent. Et moins intéressant de prêter ces sommes aux particuliers et aux entreprises. Les intérêts sur ces dépôts sont en effet crédités aux banques au jour le jour. De ce fait, les produits à taux fixe de courte durée, tels que les obligations, les bons de caisse et les comptes à terme, offrent un rendement supérieur. Au point de devenir plus intéressants que les produits à taux fixe de plus longue durée.
Pour sa part, le taux à long terme est influencé par plusieurs facteurs, qui peuvent le faire évoluer à la hausse comme à la baisse :

  • Les perspectives d’inflation : lorsque les marchés s’attendent à une hausse de l’inflation, les taux d'intérêt à long terme ont tendance à augmenter. Pour l’instant, les investisseurs s’attendent à ce que l’inflation revienne progressivement à un niveau moindre. À la normale, en quelque sorte. À l’inverse, des perspectives d’inflation plus basse entraînent une baisse des taux à long terme, car les investisseurs en obligations acceptent une compensation moindre de leur perte potentielle de pouvoir d'achat.
  • Les perspectives de croissance économique : lorsque les marchés anticipent une accélération de l’économie, les taux à long terme ont aussi tendance à augmenter. Or, pour l’instant, les investisseurs tablent sur un ralentissement de la croissance économique, avec à la clé une progression plus lente de l’inflation. De ce fait également, les investisseurs en obligations acceptent une compensation moindre de leur perte potentielle de pouvoir d'achat.
  • La politique des banques centrales : via leurs taux directeurs, les banques centrales ont une influence directe sur le taux à court terme. D’autre part, via le rachat d’obligations, elles ont maintenu pendant plusieurs années les taux à long terme à un faible niveau. Elles réduisent actuellement ces positions, non pas en les vendant, mais en ne les réinvestissant que partiellement à l’échéance.
  • L’état d’esprit des investisseurs : lorsque les risques économiques ou géopolitiques s’accroissent, les investisseurs cherchent refuge dans les obligations à long terme, ce qui pousse les taux de ces obligations à la baisse. Lorsque la demande en obligations à long terme s’accroît, leurs prix augmentent et le rendement effectif qu’elles offrent diminue.
  • Le ratio d’endettement : lorsque le ratio d’endettement d’un émetteur ne suscite presque aucun doute – l’émetteur sera-t-il en mesure de faire face à des obligations ? – les investisseurs se contentent d’une prime de risque inférieure, ce qui influence les taux à long terme à la baisse. Pour le moment, le ratio d’endettement des États et des entreprises ne semble pas être perçu comme problématique.

6. Quel est le lien entre une courbe des taux inversée et une récession ?

Historiquement, l’inversion de la courbe des taux est considérée comme un signe avant-coureur d’une récession (= période de contraction économique). Aux États-Unis, les 10 dernières récessions ont été précédées d’une inversion de courbe. À compter du point précis d’inversion, 18 mois se sont écoulés en moyenne avant la récession en elle-même. Dans certains cas, la récession a débuté alors que la courbe était encore inversée ; dans d’autres (notamment les 4 dernières fois), la récession a commencé alors que la courbe des taux était redevenue normale.

7. La courbe inversée signifie-t-elle qu’une récession se profile à l’horizon ?

Bien qu’une récession soit généralement précédée d’une inversion de courbe, cela ne signifie pas nécessairement que toute inversion débouche sur une récession. Si l’inversion de la courbe des taux est clairement un facteur prédictif important, ce n’est pas pour autant avec certitude qu’une récession interviendra.

Selon les prévisions actuelles de Deutsche Bank, aucune récession n’est en vue, mais plutôt un atterrissage en douceur de l’économie. Aux États-Unis, la courbe des taux s’est inversée à la mi-2022, alors que presque aucun signal durable n’indiquait une récession. La durée de cette inversion est sans précédent : depuis 1956, la courbe des taux n’a jamais été inversée aussi longtemps.

Bon à savoir : l’inversion de la courbe des taux peut aussi devenir une self fulfilling prophecy. Le fait que la courbe soit négative est susceptible de pousser les entreprises et les consommateurs à anticiper une période économique moins favorable, et donc à réduire leurs dépenses et à différer leurs investissements. Une telle réaction peut à son tour contribuer à ralentir la croissance économique, et donc à accroître le risque de récession.

8. La courbe des taux américaine était brièvement revenue à la normale en août 2024. Pourquoi ?

Ce retour à la normale est la conséquence de la publication de chiffres décevants concernant l’emploi aux États-Unis. Les investisseurs ont craint que la Fed n’ait maintenu pendant trop longtemps ses taux directeurs à un niveau trop élevé, en favorisant ainsi une récession. Les marchés ont redouté une récession et ont anticipé un resserrement plus rapide et plus fort des taux directeurs par la Banque centrale américaine.

En conséquence, les prévisions de taux ont été fortement revues à la baisse, ce qui a provoqué un recul sensible des taux à court terme. C’est ce recul qui a permis aux taux à court terme de repasser sous le niveau des taux à long terme, et donc à la courbe de revenir ‘à la normale’. Toutefois, les craintes de récession se sont vite dissipées, de sorte que la courbe des taux s’est à nouveau inversée.

Ce bref rétablissement de la courbe des taux était un signe de normalisation de cet indice sans timing précis : ce n’est pas parce que les banques centrales augmentent leur taux aujourd'hui que l’économie ralentit dès demain. L’inverse est également vrai : ce n’est pas parce que les banques centrales baissent leurs taux que l’économie a touché le fond.
Au fil des derniers mois, le différentiel entre les taux à court terme et à long terme n’a cessé de s’amenuiser. En août 2024, la différence entre le taux US à court terme (2 ans) et à long terme (10 ans) n’était plus que de 18 points de base, alors qu’il culminait encore à 108 points de base au début de l’été 2023. Entre-temps, le taux à long terme est même à nouveau supérieur au taux à court terme et l’inversion est terminée.

9. Pourquoi les marchés redoutent-ils à ce point une récession ?

Une récession peut avoir des répercussions considérables, tant sur l’économie que sur les marchés. Durant une récession, l’activité économique se contracte, ce qui entraîne une diminution de la demande en produits et services. Ensuite, c’est la réaction en chaîne : le chiffre d'affaires des entreprises diminue, avec à la clé d’éventuels licenciements, une baisse des bénéfices et un ralentissement des investissements. Ces différents impacts minent la confiance dans l’économie, ce qui entraîne un recul des marchés d’actions.

Généralement, l’impact d’une récession sur les marchés est considérable. Lors des 10 derniers épisodes de récession aux États-Unis, le S&P 500 a enregistré un recul moyen de 31% par rapport à son pic antérieur1. Il est cependant intéressant d’observer la réaction du marché après l’inversion de la courbe. Six mois après le début d’une inversion, le S&P 500 est resté inchangé (0%) en moyenne. Après douze mois, il a progressé en moyenne de 4%.

Conclusion

L’inversion de la courbe des taux d’intérêt a duré environ 2 ans aux Etats-Unis comme dans la zone euro. Dans les deux régions, les banques centrales respectives (Fed et BCE) ont déjà commencé leur cycle de baisse des taux d’intérêt. Cela a surtout un impact négatif sur les taux courts de la courbe. Entre-temps, les chiffres macroéconomiques restent encourageants, de sorte que les taux longs restent soutenus.

Pour les investisseurs, il reste bien sûr des opportunités dans le segment obligataire. En raison de l’évolution de la courbe des taux, l’attention se déplacera progressivement des échéances courtes vers des échéances plus longues afin de verrouiller un rendement attractif.

Les produits d'investissements sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et vous pouvez ne pas récupérer le montant de votre investissement. Toute décision d’investissement doit être conforme à votre Financial ID (profil d’investissement). Plus d’informations sur deutschebank.be/financialid.

Les prévisions sont fondées sur des suppositions, évaluations, avis subjectifs, analyses et modèles hypothétiques qui peuvent se révéler faux. Fourni exclusivement à titre d’illustration. Le présent article et les informations qu’il contient ne constituent en aucune manière un conseil en investissement.

Les performances passées ne constituent pas un indicateur fiable des performances futures.

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1 Source : nasdaq.com/articles/this-recession-indicator-is-ringing-its-most-severe-alarm-in-40-years.-heres-what-it-could

2 Le terme "fonds" est l’appellation commune pour un Organisme de Placement collectif (OPC), qui peut exister sous le statut d'OPCVM (UCITS) ou d'OPCA (non–UCITS), et prendre diverses formes juridiques (SICAV , FCP etc). Un OPC peut comporter des compartiments. Les fonds sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et les investisseurs peuvent ne pas récupérer le montant de leur investissement.

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