2022, la fin de l’argent bon marché

Marchés & investissements - 4 janvier 2023

2022, la fin de l’argent bon marché

Rédigé par Wim D'Haese (Head Investment Strategist) & David Ghezal (Investment Strategist)

En résumé :
  • L’argent bon marché, la Chine en surmultipliée et un climat géopolitique relativement paisible : les ingrédients du cocktail miracle qui a enivré les investisseurs pendant plusieurs années se sont évaporés en 2022.
  • Parmi toutes les classes d’actifs, seules les matières premières sont parvenues à tirer leur épingle du jeu.

1. Premier marché baissier pour les obligations d’État depuis 70 ans

Les investisseurs qui optent pour des obligations d’État telles que les ‘Bunds’ allemands font ce choix parce qu’ils sont fermement convaincus de récupérer leur capital à l’échéance. Tout en empochant des coupons dans l’intervalle. Vous cherchez encore plus sûr que les Bunds ? Impossible, en tout cas sur le marché obligataire européen. Or, aujourd’hui, aucun investisseur n’est plus frustré que ceux qui ont investi dans ces fameux ‘Bunds’... Un panier1 composé d’obligations d’État allemandes d’une durée comprise entre 10 et 30 ans a en effet perdu la bagatelle de 40%2 depuis son pic le plus récent (en mars 2020).

Les investisseurs à long terme en Bunds ne sont cependant pas les seuls à avoir vécu une annus horribilis. Cette année, le marché a été baissier pour toutes les obligations souveraines. Un contexte baissier généralisé pour la première fois depuis 70 ans, selon une analyse de Deutsche Bank. En comparaison avec la fin de l’année 2020, un panier représentatif d’obligations d’État du monde entier3 a franchi en août le cap des -20%4. Il faut remonter au début des années ’50 pour retrouver trace d’une telle dégringolade.

Une baisse de plus de 20% des marchés d’actions ? Cela n’a rien d’inhabituel. Un recul de plus de 20% des marchés obligataires ? C’est exceptionnel pour une classe d’actifs qui est censée incarner la stabilité et la fiabilité des rendements. Même dans les années ’70, quand l’inflation galopait et que les rendements obligataires flambaient, la performance totale en termes nominaux (évolution des cours + rendement des coupons) n’a pas été aussi mauvaise que cette année. Dans les années ’70, les coupons étaient en effet plus intéressants qu’aujourd’hui : le rendement moyen des obligations souveraines US (à 10 ans) se montait à 7,5%. Début décembre 2022, il était de 3,5%.

Voilà pour un premier constat... qui ne tient compte que du rendement nominal. En termes réels, les résultats cette année sont encore pires. Le malheur des uns (les détenteurs d’obligations) peut toutefois faire le bonheur des autres (les acheteurs potentiels). En effet, si vous achetez aujourd’hui un panier d’obligations souveraines européennes, vous bénéficiez d’un rendement nominal de 3% environ. Ce rendement est certes appréciable, mais toujours insuffisant en termes réels pour compenser la forte inflation actuelle.

2. Recul de toutes les classes d’actifs, sauf une

En temps normal, les pertes côté cour sont compensées par des gains côté jardin. En l’occurrence, les actions montent lorsque les obligations reculent, et inversement. Mais comme l’année 2022 n’a pas été ‘normale’ – à plus d’un titre – ces deux marchés ont évolué de concert à la baisse.

Comment est-ce possible ? Les banques centrales ont relevé leurs taux directeurs afin de juguler l’inflation. Mais cette dernière a été plus tenace que prévu. Les banques centrales ont donc accru tant l’ampleur que la fréquence de leurs hausses de taux. Pour les marchés d’actions, de telles hausses ont été impossibles à absorber en si peu de temps. Des taux plus élevés rendent en effet les obligations (qui sont moins risquées) plus attractives que les actions (plus risquées). Une hausse des taux a aussi pour effet de rendre les conditions d’emprunt plus onéreuses. Sans oublier les craintes de récession, qui se sont amplifiées et qui nuisent aux entreprises et à leurs actions.

Sur les bourses, ce sont surtout les actions de croissance qui ont été mises sous pression cette année. Quand les taux sont élevés, les bénéfices futurs sont en effet beaucoup plus faiblement valorisés que quand les taux sont bas. Dans un tel contexte, les actions de valeur sont la meilleure option d’investissement (même si elles aussi ont reculé cette année).

En raison de la bonne tenue du dollar US et des hausses des taux opérées par de nombreuses banques centrales, l’or en USD a aussi perdu une partie de son éclat, même si la décrue inattendue de l’inflation en octobre aux États-Unis a atténué cette tendance. Bien que le prix de l'or libellé en dollars soit finalement resté pratiquement inchangé l'an dernier, les investisseurs en euros ont néanmoins bénéficié d'une augmentation de sa valeur. Les seuls vainqueurs incontestés de 2022 sont toutefois les matières premières. Après avoir déjà emmené le peloton en 2021, cette classe d’actifs arrive également en tête cette année, et même de plusieurs longueurs.

3. Envolée de l’inflation

Cette année, le prix de tout a augmenté. La guerre en Ukraine, les conséquences de la pandémie (confinements, perturbations logistiques, hausse de l’épargne des ménages...), la politique ultra-souple des banques centrales pendant plusieurs années... de multiples facteurs ont contribué à cette envolée.

L’inflation agit comme une augmentation déguisée des impôts, qui inhibe la consommation. Cette année, c’est surtout la forte augmentation du prix de l’énergie, de l’alimentation et des services qui a absorbé une part plus grande du budget des ménages. Si cette évolution n’est pas immédiatement contrebalancée par une augmentation des salaires, les ménages disposent de moins d’argent pour ‘autre chose’. Ce recul du pouvoir d’achat peut être compensé en recourant à l’épargne, mais avec un impact sur la croissance économique, sur les marchés et sur la confiance des consommateurs. Autant d’effets qui ont été clairement perceptibles cette année.

4. Changement de cap des banques centrales

Pendant des années, les grandes banques centrales ont mené une politique ultra-souple pour stimuler l’économie et pousser l’inflation légèrement à la hausse. Lorsque cette dernière a commencé à décoller, cette envolée a été trop rapide. Dans un premier temps, les banques centrales ont pensé que cette flambée serait de courte durée, et donc qu’il n’était pas nécessaire de se précipiter sur les extincteurs. Ce scénario ne s’est pas produit, et elles ont donc dû changer leur fusil d’épaule. Ainsi, la Banque centrale européenne (BCE) anticipait-elle en décembre 2021 que l’inflation s’élèverait à 3,2% en 2022. Ces prévisions ont cependant été systématiquement revues à la hausse dans les mois qui ont suivi : 5,1% en mars, 6,8% en juin et 8,1% en septembre.

Pour la BCE, la situation est bien sûr beaucoup plus complexe que pour la Réserve fédérale (Fed). La BCE mène en effet une politique monétaire pour 19 pays, et non pour une seule nation. Or, les défis et finances publiques diffèrent d’un pays à l’autre. Ces divergences ont notamment été perceptibles dans le différentiel de taux d’intérêt entre les obligations souveraines italiennes et allemandes, qui a atteint à un moment donné 2,5 points de pourcentage. Pour combattre ces disparités, la BCE a mis en œuvre cette année un nouvel outil, baptisé ‘Instrument de protection de la transmission’.

Nous considérons que les banques centrales continueront encore pendant un certain temps à augmenter leurs taux, en réduisant cependant le rythme des hausses, avant d’atteindre un pic au début de l’été prochain.

5. Guerre en Ukraine : augmentation du prix de l’énergie et baisse des actions (européennes)

Les risques géopolitiques globaux ont substantiellement augmenté depuis l’invasion de la Russie en Ukraine. Les hostilités ont déjà fait des dizaines de milliers de victimes, ont freiné une économie mondiale qui se remettait à peine de la pandémie, ont provoqué une crise énergétique et ont dopé l’inflation.

Du fait de notre grande dépendance à l’égard de l’énergie russe, la guerre a aussi fait pression sur les actions européennes. Ces dernières sont toujours bon marché par rapport à leur moyenne sur dix ans. Les pays proches du conflit, comme la Pologne et la Hongrie, ont vu plonger leurs actions et leur devise. Les obligations de pays qui importent beaucoup de gaz et de céréales ont également dévissé. Depuis le début de l’invasion, l’Union européenne a importé pour 100 milliards d’euros d’énergie depuis la Russie3. L’Europe est néanmoins déterminée à réduire sa dépendance (énergétique) à l’égard de Moscou.

6. Les big tech écopent

Cette année, les actions technologiques ont vu des centaines de milliards de valorisation boursière partir en fumée. Le contexte de taux plus élevés est une des raisons de ce revers. Quand les taux sont faibles, ce sont surtout les actions de croissance qui ont le vent en poupe (les bénéfices futurs sont alors plus fortement valorisés). Au fil de cette période exceptionnellement longue de taux plancher, leur valeur boursière s’est accrue sans discontinuer. Mais quand les banques centrales ont sifflé la fin de la récréation, le retour de bâton s’est fait durement ressentir.

Cet âge d’or des valeurs technologiques n’est pas seulement le fait de la politique de taux ultra-bas des banques centrales. La pandémie a aussi contribué à l’élan vers les technologiques. À l’heure où le coronavirus n’est plus le souci principal de nombreux pays dans le monde, toutes les réunions ne se déroulent plus en visioconférence et nous achetons moins en ligne. Ces évolutions ont provoqué depuis l’année dernière un ralentissement de la croissance des bénéfices de ce secteur. À partir de 2024, cette croissance des bénéfices devrait à nouveau surpasser la moyenne du marché, car la numérisation et l’automatisation restent de robustes tendances de fond (en raison notamment du vieillissement de la population, de la raréfaction de la main-d’œuvre, etc.).

Recul du Nasdaq après plusieurs années de progression

7. Le dollar fort

Au cours de cette année, le taux de change EUR/USD a chuté de plus de 13% à un moment donné, atteignant ainsi son niveau le plus bas des 20 dernières années5. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. La forte hausse de l’inflation a obligé les banques centrales à prendre le taureau par les cornes. La Fed a commencé beaucoup plus tôt que la BCE à relever ses taux, de sorte que le différentiel de taux entre les deux régions s’est fortement creusé en faveur des États-Unis. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a fortement pesé sur l’euro. Enfin, les incertitudes macroéconomiques et la crainte d’une récession ont poussé nombre d’investisseurs vers le dollar US, traditionnellement considéré comme une valeur refuge.

Les produits d’investissement sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et les investisseurs peuvent ne pas récupérer le montant de leur investissement.

Partagez cet article


Ceci pourrait également vous intéresser

20 décembre 2022

Qu'en sera-t-il de l'inflation en 2023 ?

17 novembre 2021

Secteur technologique US : vents contraires à court terme, opportunités à long terme

12 août 2022

À la recherche d’un revenu régulier pour vos investissements ?

Les produits d’investissement sont sujets à risques. Ils peuvent évoluer à la hausse comme à la baisse et les investisseurs peuvent ne pas récupérer le montant de leur investissement.

1. ICE BofA 10+ years German Sovereign Index

2. Source : Bloomberg Finance L.P., consulte sur dws.com/en-be/insights/cio-view/charts-of-the-week/cotw-2022/chart-of-the-week-20221021/21/10 (octobre 2022)

3. Composé en fonction de la pondération des pays émetteurs dans le PIB mondial

4. Deutsche Bank AG, Long-Term Asset Return Study 2022 (septembre 2022)

5. Source : Bloomberg Finance L.P.

×