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Comment le legs en duo peut-il procurer un avantage fiscal ?

11 novembre 2020 - Lu en 15 min

Rédigé par

Franck Cedrone & Benoît Verschueren
Senior Estate Planners

La réglementation évolue rapidement. Nous estimons donc qu’il est essentiel de partager cette information avec vous.

Découvrez les auteurs de cet article :
Franck (46 ans) est un passionné de course à pied. Il est diplômé de l’ULB (master en droit) et de Solvay (master en droit fiscal). Cela fait plus de 20 ans qu’il traite chaque jour de fiscalité et de planning patrimonial.
Benoît (43 ans) possède un master en droit (KUL) et en droit fiscal (ULB). Il dispose de 18 ans d’expérience en fiscalité et en planification patrimoniale. Il consacre ses temps libres à la lecture et au tennis.


La personne qui bénéficie d’une succession en tant qu’ami ou parent collatéral éloigné du défunt, doit payer des droits de succession élevés (de 55% à 70%). Afin de réduire ces droits, la technique du legs en duo peut dans certains cas constituer une planification intéressante. En Région flamande, le legs en duo est dans le viseur du législateur fiscal.

Faisons connaissance avec Jean

Jean, 75 ans, est veuf. Il n'a pas d'enfants. Il a toujours son frère Marc avec qui il ne s’entend plus du tout, et la fille de Marc, Eva (50 ans), que Jean aime beaucoup. Jean est bénévole pour une association caritative (une asbl agréée par les autorités fédérales). Jean a eu une belle carrière et il s'est constitué un portefeuille titres d'une valeur de 2.000.000 d'euros avec ses revenus professionnels. Il n'a jusqu'à présent entrepris aucune planification successorale au sujet de ce patrimoine mobilier.

Quels sont les objectifs de Jean ?

Jean aimerait voir Eva bénéficier de l’ensemble de ses biens à son décès. Cependant, Eva n'est pas l'héritière directe de Jean, et s'il ne fait rien, c’est Marc, en tant que parent le plus proche, qui héritera en principe de la totalité de son patrimoine. Jean ne souhaite absolument pas cela. Il envisage donc de rédiger un testament et de nommer Eva en tant que légataire universel de ses biens. Elle aura alors vocation à recueillir la totalité des biens de Jean (par hypothèse composée uniquement du portefeuille titres d'une valeur de 2.000 000 d'euros) à son décès.

Jean se pose encore quelques questions sur son projet. Qu'en est-il des droits de succession ? Eva ne va-t-elle pas payer des droits de succession exorbitants ? Le cas échéant, peut-il éventuellement faire quelque chose à ce sujet ?

Des droits de succession élevés dans chaque région

La crainte de Jean concernant l’importance des droits de succession à payer par Eva est en tout cas justifiée. Eva est la nièce de Jean, ils ont donc un lien de parenté éloigné. Dans les trois régions de notre pays, les taux de droits de succession pour cette catégorie d'héritiers sont particulièrement élevés. Par exemple, le taux le plus élevé pour cette catégorie d'héritiers est de 55% en Région flamande. En Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale, le taux le plus élevé pour les legs à des oncles, tantes, neveux ou nièces atteint 70%.

Si Jean décède en tant que résident de la Région flamande, Eva doit payer des droits de succession de 1.085.500 euros sur son legs de 2.000.000 euros. Il lui reste alors un montant net de 914.500 euros. En revanche, si Jean décède en tant que résident de la Région wallonne, Eva doit payer des droits de succession de 1.359.375 euros, ce qui laisse à Eva un montant net de 640.625 euros. La Région de Bruxelles-Capitale décroche la première place : si Jean décède en tant que résident de cette région, Eva doit payer pas moins de 1.365.000 euros de droits de succession ! Sur une base nette, il ne lui reste que 635.000 euros.

Jean est un peu effrayé de constater l’importance des droits de succession dus par Eva. Il se demande s'il n'y a pas d'autres solutions ?

Un legs en duo comme solution ?

En quoi consiste le legs en duo ? D'un point de vue civil, un legs en duo se réalise par le biais d’un testament et, comme son nom l'indique, il est en fait constitué de deux legs testamentaires, un legs universel et un legs à titre particulier. Dans notre exemple, Jean nomme d’une part l’association caritative où il a travaillé bénévolement pendant de nombreuses années en tant que légataire universel. D’autre part, il désigne Eva en tant que légataire à titre particulier.

En bénéficiant d’un legs universel, l’association a vocation à recueillir la totalité de la succession de Jean (après déduction du legs à titre particulier fait à Eva). Ce legs lui est toutefois fait à la condition de prendre en charge la totalité des droits de succession dus, tant sur sa partie que sur la partie revenant à Eva, et à verser à cette dernière l’objet de son legs à titre particulier net d’impôt. En outre, en tant que légataire universel, l’association caritative est également chargée de gérer la succession de Jean et d’introduire la déclaration de succession auprès de l'administration compétente.

En tant que légataire à titre particulier, Eva est appelée à recevoir une partie déterminée du portefeuille titres que Jean fixe en l’occurrence à 50% de celui-ci (soit pour une valeur de 1.000.000 d'euros).

La caractéristique principale du legs en duo est donc que le légataire universel, l’association caritative, a la charge de payer les droits de succession dus par le légataire à titre particulier, Eva, et de verser à celle-ci un montant net (libre de droits de succession).

Un avantage fiscal indéniable

Le legs en duo offre un avantage fiscal considérable. Reprenons notre exemple: l’association caritative ne paie qu'un taux fixe et réduit de droits de succession sur ce qu'elle obtiendra de la succession de Jean, à savoir 8,5% en Région flamande, 7% en Région wallonne et depuis peu également 7% en Région de Bruxelles-Capitale (l’asbl étant agréée au niveau fédéral). Dans notre exemple, l’association reçoit 1.000.000 d'euros (c'est-à-dire la totalité de la succession de Jan après déduction du legs à titre particulier à Eva). En Région flamande, l'association doit payer 85.000 euros de droits de succession sur ce montant, en Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale, 70.000 euros de droits de succession sont dus.

"La caractéristique principale du legs en duo est que l’association caritative se voit imposer dans le testament la charge de payer les droits de succession dus par Eva et à lui verser un montant net."

En tant que légataire à titre particulier, Eva reçoit une partie (50%) du portefeuille-titres pour une valeur de 1.000.000 d’euros. Les droits de succession dus à ce titre sont calculés aux taux progressifs ordinaires applicables à la catégorie d'héritiers à laquelle elle appartient (voir ci-dessus). En Région flamande, les droits de succession y afférents s'élèvent donc à 535.500 euros, en Région wallonne 659.375 euros et en Région de Bruxelles-Capitale même 665.000 euros.

Comme prévu dans le testament de Jean, Eva doit recevoir 1.000.000 d’euros nets, donc libres de droits de succession. Les droits de succession qu’Eva devrait payer sur son legs à titre particulier sont supportés l’association caritative, conformément à la charge prévue dans le testament de Jean. Au final, l'association conserve un montant net de 380.000 euros en Région flamande (soit 1.000.000 euros - 85.000 euros - 535.500 euros), 270.625 euros en Région wallonne (soit 1.000.000 euros - 70.000 euros - 659.375 euros) et 265.000 euros la Région de Bruxelles-Capitale (soit 1.000.000 euros – 70.000 euros – 665.000 euros).

Lors du calcul des droits de succession dus dans le chef de l’association, il n'est pas tenu compte de la charge qui lui est imposée de payer les droits de succession dus par Eva. L’association ne peut déduire cette charge de son legs universel, mais comme cette dernière est faiblement taxée sur la totalité de son legs universel (y compris la charge susmentionnée), les droits de succession entrant dans les caisses de l’administration fiscale sont bien moindres de sorte qu'au final, Eva recueille davantage comparé à la situation sans legs en duo. La bénéficiaire de cette charge, Eva, n'est en effet pas imposée à cet égard.

Eva est bien sûr très satisfaite de cette solution, étant donné que, quelle que soit la région de résidence fiscale de Jean, elle reçoit plus comparé à l’hypothèse où le legs en duo n’est pas appliqué. En effet, Eva reçoit 85.500 euros de plus en Région flamande, 359.375 euros de plus en Région wallonne et même 365.000 euros de plus en Région de Bruxelles-Capitale. L'association caritative est également contente car il lui reste encore une très belle somme d’argent après l'application du legs en duo.

"Comparé à la situation sans legs en duo, Eva reçoit 85.500 euros de plus en Région flamande, 359.375 euros de plus en Région wallonne et même 365.000 euros de plus en Région de Bruxelles-Capitale."

La seule perdante est donc l’administration fiscale, qui se voit privée de montants d’impôt importants. A cet égard, il est à noter que les dispositions testamentaires ne peuvent pas être considérées comme un abus fiscal en vertu des règles anti-abus actuelles. Un abus fiscal peut uniquement se produire au départ d’un acte juridique effectué par le redevable de l’impôt. Mais dans un testament, ce n'est pas la personne qui a rédigé le testament (Jean) qui est redevable de l’impôt, mais les légataires (Eva et l'association caritative). Et comme ces derniers n'ont pas accompli d'acte juridique (rédaction du testament), il ne peut être question d'abus fiscal.

Y a-t-il des avantages et désavantages civils au legs en duo ?

Outre l'avantage fiscal indéniable, il y a aussi des avantages et des inconvénients de droit civil dont il faut tenir compte. Un avantage du legs en duo est qu'il est réalisé par testament. Jean a donc toujours la possibilité de révoquer ou modifier son testament de son vivant, du moins dans la mesure où il en a encore la capacité à ce moment-là. Une telle révocation peut être utile, par exemple, en cas de dégradation sérieuse de la relation avec Eva ou à la suite d'un changement défavorable de la réglementation civile ou fiscale applicable au legs concerné. De plus, Jean reste plein propriétaire à part entière de ses actifs (le portefeuille-titres) jusqu'à son décès.

Un inconvénient du legs en duo "classique" est à trouver dans la désignation de l'association caritative comme légataire universel. Comme indiqué ci-dessus, elle a, à ce titre, vocation à acquérir tous les biens composant la succession de Jean, à l'exception des biens revenant à Eva par le biais du legs à titre particulier. Au décès de Jean, l'association entre ainsi de plein droit en possession de l’ensemble de ses biens (on parle également de "saisine" dans son chef). Elle devient par conséquent responsable de la liquidation et du partage des biens légués par Jean. Elle a, à cet égard, le droit de décider librement de réaliser certains biens (afin de pouvoir verser à Eva une somme d'argent nette), avec le danger que cela concerne des biens ayant une valeur affective pour Eva. En outre, l’association doit compléter et déposer la déclaration de succession. Il est certain que pour les petites associations caritatives, toutes ces formalités représentent une charge administrative lourde, ce qui les incite parfois à refuser le legs. Et bien entendu, il n'est pas possible d'obliger l’association concernée à accepter le legs.

"En tant que légataire universel, l'association caritative est responsable de la liquidation et du partage des biens légués par le testateur."

C'est une des raisons pour lesquelles on utilise parfois un legs en duo "inversé". Dans ce cas, Eva est désignée comme légataire universel tandis que l'association caritative reçoit une partie du portefeuille de titres sous forme de legs à titre particulier. Il est cependant toujours prévu que l’association prenne en charge les droits de succession dus par Eva. D'un point de vue fiscal, cette technique permet de réaliser les mêmes économies que dans l’hypothèse du legs en duo "classique", mais sur le plan du droit civil, elle entraîne d'autres conséquences. C’est par exemple Eva qui entre en possession de tous les biens de la succession de Jean en tant que légataire universel. Elle tient donc les rênes et est libre de décider ou non de la vente de certains biens dans le cadre de la liquidation et du partage de la succession. Elle doit cependant s'occuper des formalités liées à la succession (liquidation et partage, dépôt de la déclaration de succession). C’est bien sûr une bonne chose pour l’association.

"Dans un legs en duo inversé, l’association caritative n’est pas désignée comme légataire universel mais comme légataire à titre particulier."

Le legs en duo inversé peut être formulé de deux manières.

  • Soit l’association reçoit, sous forme de legs à titre particulier, une certaine somme d'argent dont le montant est déjà fixé au moment de la rédaction du testament. Avec ce montant, l'association paie ses propres droits de succession et ceux d’Eva. Cette version du legs en duo inversé est acceptée dans toutes les régions.
  • Soit l'association reçoit, d'une part, un montant net fixe et, d'autre part, un montant qui n'a pas encore été déterminé au moment de la rédaction du testament (le montant "déterminable"), avec lequel elle paie ensuite ses propres droits de succession et ceux d’Eva. Ce montant dépend du calcul final des droits de succession dus suite au décès de Jean.

Au départ, en raison d'une interprétation très stricte du texte juridique applicable, les autorités fiscales ont considéré qu’un legs à titre particulier devait consister en un montant déterminé et n'ont donc pas tenu compte du montant "déterminable". Ce dernier était par conséquent soumis aux droits de succession progressifs ordinaires (plus élevés) dus par le légataire universel (Eva dans notre exemple).

Cependant, il y a quelques années, une certaine jurisprudence s'est prononcée contre la position des autorités fiscales. En Région flamande, l'administration fiscale s'est résignée à accepter ces décisions de justice en exigeant toutefois que la méthode de calcul et le montant du legs à titre particulier soient clairement décrits dans la déclaration de succession. Attention, cette version du legs en duo inversé n'est toujours pas acceptée dans les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale... Et enfin, il faut noter qu’en ce qui concerne la Région flamande, cette discussion pourrait devenir sans objet à l'avenir, compte tenu des développements expliqués ci-dessous.

Fin du legs en duo en Région flamande

Comme indiqué ci-dessus, l’administration fiscale est la grande perdante dans l’histoire du legs en duo. Le gouvernement flamand l’a bien compris. Dans son accord gouvernemental pour la période 2019-2024 d’octobre 2019, il a été décidé de modifier le régime du legs en duo. Le gouvernement flamand souhaite, selon ses propos, « restaurer l’élément purement altruiste de ces legs et les renforcer par une réduction de tarif ». En d’autres termes, le gouvernement flamand estime que la pratique des legs en duo est inspirée par des motivations principalement fiscales, c’est-à-dire qu’elle vise à réduire les tarifs de droits de succession élevés applicables aux membres de la famille les plus éloignés du défunt ou aux personnes étrangères à ce dernier. En plus, le gouvernement flamand espère voir cette mesure rapporter 75 million d’euros à son budget…

L’intention du gouvernement flamand a généré de grandes inquiétudes, en premier lieu auprès des associations caritatives elles-mêmes. Elles craignent que sans l’avantage fiscal octroyé par le legs en duo à la famille du défunt, les futurs défunts ne soient moins disposés à les aider, même avec une réduction de tarif sur les legs faits à leur égard. Le 18 septembre 2020, le gouvernement flamand a finalement décidé de réduire le taux des droits de succession sur un legs fait à une association caritative de 8,5% à 0%. Et de même pour les droits de donation qui sont réduits de 5,5% à 0%. Une bonne nouvelle, certes, mais conformément à l’accord du gouvernement flamand, ce dernier a également décidé de mettre fin à l’optimalisation fiscale que le legs en duo permettait.

Le gouvernement flamand a décidé de réduire les droits de succession sur un legs à une association caritative de 8,5% à 0%. Et de même pour les droits de donation qui sont réduits de 5,5% à 0%. Par contre, il a également été décidé de mettre fin à l’avantage fiscal du legs en duo…

Au moment de la rédaction de ce texte, seul un projet de décret est disponible. Vu que l’initiative émane du législateur décrétal flamand, seul le régime fiscal (étant une compétence régionale) peut être modifié afin de mettre fin à l’optimalisation par le biais du legs en duo. Le législateur décrétal flamand ne peut en effet interdire à l’association caritative de prendre en charge les droits de successions des parents collatéraux du défunt. Cela ressort en effet du droit civil qui est une compétence fédérale. Le projet de décret modifie uniquement le mode de calcul des droits de succession. Le principe est grosso modo le suivant : la part du legs à l’association qui est destinée à payer les droits de succession des autres légataires est brutée (transformée en montant brut) et ajoutée à la base imposable de ces derniers et déduit de la base imposable de l’association. Le mode de calcul, assez complexe, est détaillé ci-dessous.

Reprenons notre exemple du legs en duo « classique » par lequel d’une part l’association caritative obtient un legs universel d’une valeur de 1.000.000 d’euros et d’autre part Eva un legs particulier de 1.000.000 d’euros. En principe, Eva est redevable de droits de succession de 535.500 euros sur son legs particulier, calculés sur base des taux progressifs ordinaires applicables dans son chef. C’est aussi le montant que l’association doit en principe payer à l’administration fiscale à la place d’Eva en vertu de la charge reprise dans le testament. Le taux des droits de succession le plus élevé dans le chef d’Eva est de 55%.

Selon le nouveau projet de décret, un calcul fiscal complexe doit être réalisé afin d’ajouter la partie du legs à l’association destinée à payer les droits de succession d’Eva à la base imposable du legs particulier dans le chef de cette dernière. Le calcul est le suivant : les droits de succession dont Eva est redevable sont dans un premier temps brutés selon la formule 535.000 euros / (1 - 55%). Cela donne un montant de 1.188.889 euros. Ensuite, ce montant bruté est limité à ce que l’association reçoit comme legs universel, soit à 1.000.000 d’euros. Finalement, c’est ce dernier montant qui est ajouté à la base imposable du legs particulier d’Eva pour calculer les droits de succession dus au final par Eva. Concrètement, le legs particulier fait à Eva s’élève à 1.000.000 d’euros et on y rajoute le montant bruté mais limité à 1.000.000 d’euros, de sorte que les droit de succession dus dans le chef d’Eva sont calculés sur un montant de 2.000.000 d’euros (ce qui revient à la succession totale de Jean) et ce sur base des taux progressifs ordinaires. Les droits de succession dus par Eva s’élèvent donc à 1.085.500 euros. Attention, d’un point de vue civil, l’association devra en principe encore toujours payer ce montant à l’administration fiscale à la place d’Eva, en vertu de la charge imposée dans le testament.

Le calcul des droits de successions dans le chef de l’association se fait d’une façon similaire avec comme différence que le montant bruté de 1.188.889 euros est bien sûr déduit de son legs universel. Mais étant donné que le legs universel à l’association s’élève à 1.000.000 d’euros et que le montant bruté est de 1.188.889 euros, la déduction est limitée à 0 euro. La nouvelle exemption des droits de succession dans le chef de la bonne œuvre est ensuite appliquée à cette base de 0 euro, ce qui n’a bien sûr aucun effet. Pire encore, puisque d’un point de vue civil, la bonne œuvre subit encore toujours la charge de payer les droits de succession dus par Eva, elle devrait en principe encore sortir 85.500 euro de sa propre poche ! Le legs universel ne s’élève qu’à 1.000.000 d’euros tandis qu’elle doit supporter une charge de 1.085.500 euros. Il va de soi que la bonne œuvre refusera dans ce cas son legs universel. Bref, par l’introduction de cette mesure complexe, le législateur flamand a sonné le glas de l’optimalisation fiscale par le biais du legs en duo.

Selon le projet de décret, la nouvelle réglementation entrera en vigueur pour tout décès survenu à partir du 1er juillet 2021. Cela peut engendrer quelques conséquences injustes. Pensons à la personne qui a rédigé il y a quelques années en toute confiance un testament prévoyant un legs en duo, mais qui n’est plus capable aujourd’hui. Ce testament ne peut plus être modifié, même si la personne a signé un mandat extrajudiciaire. Si cette personne décède après le 1er juillet 2021, toute sa planification successorale n’a servi à rien…

Finalement, les résidents fiscaux de la Région wallonne et de Bruxelles-Capitale ne doivent pour l’heure pas s’inquiéter. Jusqu’à présent, aucune initiative dans ces régions n’a été prévue afin de décourager la pratique du legs en duo.

Des alternatives au legs en duo ?

Prenons l’hypothèse que Jean, en tant que résident de la Région flamande, a prévu un legs en duo dans son testament. Que doit-il faire aujourd’hui ? Pour l’instant, Jean doit attendre que le nouveau projet de décret soit définitif. Si le décret est voté, Jean ferait mieux de révoquer son testament. Et ensuite ? Une possibilité consiste pour Jean à faire une donation à Eva, le cas échéant avec des clauses protectrices (une réserve d’usufruit, une clause d’inaliénabilité, une clause de retour conventionnel, …). En ce qui concerne les aspects civils et fiscaux des donations, nous renvoyons le lecteur à notre précédent article consacré à la donation de biens mobiliers. Les droits de donation sur une telle donation à Eva s’élèvent à seulement 7% en Région flamande et Région de Bruxelles Capitale ou encore à 5,5% en Région wallonne.

Mais de ce fait, Jean est tenu par le principe “donner, c’est donner”. En effet, en réalisant une donation, le portefeuille-titres de Jean sort de son patrimoine de façon définitive. Bien que ce principe puisse être tempéré par un droit d’usufruit ou des clauses protectrices, Jean n’est plus plein propriétaire et ne peut donc plus disposer du capital donné. Jean a bien sûr la possibilité d’attendre le plus longtemps possible avant de faire une donation à Eva, voire faire une donation à Eva sur son lit de mort (la donation "in extremis"). Il est évident que cela comporte des risques. Que se passe-t-il si Jean décède de façon inopinée ? Dans ce cas, toute sa planification tombe à l’eau. Ou que se passe-t-il si Jean devient juridiquement incapable (démence, état comateux, …). Alors Jean peut prendre ses précautions en faisant rédiger un mandat extrajudiciaire. Dans ce dernier, il est prévu que des donations envers Eva puissent être effectuées, même si Jean est juridiquement incapable à ce moment-là. Dans tous les cas, Jean doit réévaluer la situation, de préférence en concertation avec son notaire ou son spécialiste en planification successorale.

Conclusion

Le legs en duo constitue dans certains cas un instrument de planification intéressant pour réaliser une transmission de patrimoine vers des parents collatéraux ou des amis, pour autant que des donations du vivant ne sont pas envisageables et que le futur défunt n’est pas résident fiscal de la Région flamande.

Le legs en duo ne permet cependant pas d’éviter les droits de succession, il les réduit. Ce n’est donc pas un remède miracle. Pour les résidents de la Région flamande, l’avenir ne semble guère prometteur. Si un résident de cette région a déjà prévu un legs en duo dans son testament, il est vivement conseillé de revoir ce dernier et d’envisager des solutions de planification alternatives. Dans tous les cas, il convient de se faire conseiller par son notaire ou son spécialiste en planification patrimoniale.

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