Pour Jim Reid, la hausse des taux a créé des chocs que l’on observe encore

Marchés & investissements - 9 février 2024

Pour Jim Reid, la hausse des taux a créé des chocs que l’on observe encore

Rédigé par Jennifer Nille

Article publié dans l'Echo le 8 février 2024

Les marchés obligataires se réajustent aux attentes sur les baisses de taux d’intérêt. Depuis cette semaine, les taux longs, qui évoluent en sens inverse du prix des emprunts d’État, sont repartis à la hausse alors que les investisseurs révisent leurs paris sur la première baisse des taux des banques centrales. Le taux américain à dix ans est repassé au-dessus de 4%, et le taux allemand de même échéance a touché un sommet depuis le 25 janvier, à 2,3%. Jim Reid, responsable de la stratégie d’investissement chez Deutsche Bank, constate qu’il est difficile d’avoir des convictions fermes sur la direction des taux d’intérêt dans un contexte de marché délicat selon lui. Il était de passage mardi à Bruxelles pour donner ses prévisions économiques pour cette année, et il s’est montré prudent.

Quelles sont vos attentes sur les baisses de taux d’intérêt des banques centrales ? Partagez-vous l’optimisme des marchés ?

Les marchés se montrent trop optimistes sur une combinaison entre un atterrissage en douceur de l’économie et une baisse agressive des taux d’intérêt des banques centrales. Je ne pense pas qu’on puisse avoir une diminution forte des taux d’intérêt sans qu’il n’y ait de récession. Mais sans récession, les taux d’intérêt ne peuvent pas baisser autant que l’anticipent les marchés. Très récemment, on était encore à 200 points de base de paris à la baisse, et cela a diminué à 170 points de base. C’est encore trop optimiste.

Pourquoi ?

Les forces opposées sur les marchés sont très importantes. D’un côté, on a assisté aux plans de relance des différents gouvernements les plus importants de l’histoire et des programmes de soutien à l’économie des banques centrales, qui s’apparentent à de la monnaie hélicoptère. La masse monétaire a explosé et a connu son pic le plus élevé depuis la Deuxième Guerre mondiale, avec un impact sur l’inflation. De l’autre côté, on a assisté par la suite à un resserrement monétaire agressif, le plus important depuis 1930. Ces deux forces sont si importantes qu’un atterrissage en douceur de l’économie requiert beaucoup de chances. Je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir des convictions fortes dans un tel contexte.

Cela complique-t-il la tâche des banques centrales ?

La Banque centrale européenne s’est montrée déterminée à baisser ses taux dès qu’elle aura la preuve que la croissance des salaires se tasse, mais elle n’aura pas ces données avant sa réunion de politique monétaire d’avril. Nous pensons qu’elle pourrait commencer à baisser ses taux d’intérêt à partir de cette date. Mais tout retard dans cette baisse pose un risque. La Fed, de son côté, ne se sent pas inspirée de diminuer ses taux d’intérêt avant mai ou juin, et ce n’est pas certain. Je pense que l’on va encore connaître plusieurs mois où il sera improbable que les banques centrales baissent leur taux d’intérêt. Toute résurgence de l’inflation relance les craintes sur les rendements élevés et sur le refinancement de certaines entités, qui complique la tâche des banques centrales. Le contexte prête à des confusions, mais les marchés ont trop simplifié celui-ci.

Le risque de récession aux États-Unis est-il écarté ?

L’histoire indique que les économies s’avèrent les plus vulnérables un an et demi à trois ans après les hausses des taux d’intérêt. Depuis douze mois, on a vu les marchés s’inquiéter d’abord d’une récession, puis se lasser alors que celle-ci ne s’est pas matérialisée aux États-Unis. On voit aussi que les conditions financières deviennent meilleures, grâce au repli de l’inflation, et l’emploi reste solide. Aussi, il est difficile actuellement d’être inquiet. Mais j’ai quand même quelques doutes, car les effets d’une politique monétaire restrictive peuvent encore mordre.

Est-ce ce qui pèse sur les banques régionales américaines, qui suscitent à nouveau de l’inquiétude ?

La hausse des taux d’intérêt a créé des chocs que l’on observe encore actuellement. Le problème des banques régionales américaines est plus un problème de rendements, lié à l’inversion de la courbe des taux, où les rendements à court terme sont plus hauts que les rendements à long terme. Lorsque les taux obligataires sont remontés, soudainement, les clients dépositaires ont vu des rendements de 5 % chez la concurrence, et ont déguerpi. Pour couvrir ces retraits, les banques ont dû vendre des obligations, dont la valeur a baissé. La Fed est intervenue en rachetant à la valeur 100 ces titres, ce qui a calmé la déroute des banques régionales. La semaine passée, on a cependant assisté à la dépréciation d’actifs dans les comptes de New York Community Bank à cause de l’immobilier commercial. Cela devient un problème, car les pertes de la banque sont liées à du crédit et non plus à des titres sûrs. Face à des pertes liées au crédit, telles que l’immobilier commercial, la Fed ne peut plus intervenir aussi facilement. Toutefois, la dernière enquête trimestrielle sur les prêts montre des signes que les banques deviennent de plus en plus confiantes alors que le resserrement du crédit se fait moins important. Le scénario idéal serait qu’avant que les taux d’intérêt élevés ne fassent une nouvelle victime, arrivent une baisse des taux d’intérêt et une amélioration des conditions de crédit. On est face à une course contre la montre, où les banques centrales doivent baisser leur taux d’intérêt assez vite, et les banques doivent assouplir leurs conditions de crédit assez vite, pour que le financement inévitable qui arrive soit possible. C’est là où nous en sommes.

En Europe, l’économie souffre davantage qu’aux États-Unis. Comment expliquez-vous cette différence ?

On a vu plus de signes de transmission de la hausse des taux d’intérêt sur l’économie en Europe par rapport aux États-Unis, parce que la région est plus orientée sur ses banques qu’en Amérique, où le financement s’opère par les marchés de capitaux. Le consommateur européen a été plus touché par la hausse des taux d’intérêt que son équivalent américain. L’économie de la région a stagné pendant 12 à 18 mois, mais indique des signes de reprise. Ceci se constate plus du côté des pays périphériques, qui ont plus profité des financements européens qu’en Allemagne. Le pays souffre d’une combinaison de facteurs structurels, comme le manque d’accès à des sources d’énergie bon marché, des dépenses budgétaires absentes, des exportations limitées en Chine, et la concurrence de l’empire du Milieu. Je m’attends à ce que l’économie allemande continue de stagner, voire de se replier dans les prochains mois, et entraîne une stagnation en Europe.

La Chine est en proie à la déflation. Le pays peut-il vraiment déployer un plan de relance ?

La Chine est toujours capable de parvenir à ses objectifs de croissance, mais ces dernières années, le pays a tenté de désaccentuer sa croissance spéculative dans des domaines comme l’immobilier. Je pense que le pays va déployer des mesures de relance pour atteindre ses objectifs de croissance de 5%, alors qu’il traverse une déflation. La Chine ne veut pas laisser la déflation s’installer, car une fois que celle-ci s’installe, il devient difficile d’en sortir. Cela pousse les gens à reporter leurs investissements et l’activité entrepreneuriale. Toutefois, on constate que les économies occidentales se découplent de plus en plus de la croissance chinoise.

Comment expliquez-vous cela ?

Le cycle de croissance mondiale est désormais moins synchronisé. La Chine n’est plus un moteur comme il y a cinq ou dix ans. On a dépassé le pic de la mondialisation en termes de chaînes d’approvisionnement sans obstacle, sans friction. D’autres pays veulent commercer aussi librement que la Chine il y a cinq ou dix ans. L’empire du Milieu se retrouve en concurrence sur plus de marchés par rapport à avant, où il importait. Il est devenu exportateur, à l’image de son secteur automobile qui essaie de conquérir l’Europe avec les véhicules électriques, alors qu’avant, les constructeurs automobiles européens exportaient leurs modèles en Chine.

„Face à des pertes liées au crédit, telles que l’immobilier commercial, la Fed ne peut plus intervenir aussi facilement.“

Les phrases clés

« Les marchés se montrent trop optimistes sur une combinaison entre un atterrissage en douceur de l’économie et une baisse agressive des taux d’intérêt des banques centrales.»

« Je pense que la Chine va déployer des mesures de relance pour atteindre ses objectifs de croissance de 5%, alors qu’elle traverse une déflation.»

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