Un milliard d'électeurs appelés aux urnes en Inde

D’ici quelques semaines, les Indiens se rendront aux urnes pour les élections nationales quinquennales, dont les résultats sont attendus pour fin mai. Avec près d'un milliard d'électeurs inscrits, il s'agira du plus grand exercice électoral jamais organisé. Les deux tiers de cette base d'électeurs se sont rendus aux urnes pour les dernières élections, soit plus de 600 millions de citoyens, ce qui représente plus que l’ensemble de la population de l'Amérique du Nord ou de l'Union européenne.

En 2019, le parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), a remporté les élections en obtenant 303 des 543 sièges de la Lok Sabha (Chambre basse du Parlement).

Si l'on décompose la part des sièges par État, on observe que l'ensemble du "cœur hindou" a été dominé par le BJP. Les "grands États", qui se voient attribuer le plus grand nombre de sièges au parlement, sont un autre élément important à prendre en compte lors des élections nationales en Inde. Les six premiers États envoient 280 membres à la Lok Sabha et sont essentiels pour tout parti dans le système de scrutin uninominal majoritaire à un tour (« first past the post »)¹. Actuellement, le BJP détient la majorité dans 4 de ces 6 États.

À mesure que la population indienne augmente pour devenir la plus importante au monde, un nombre croissant de jeunes ont le droit de voter. Plus de 73 millions de nouveaux électeurs sont ainsi appelés à jouer un rôle significatif en 2024. Férue d'informatique, plus instruite que ses parents et ambitieuse, cette cohorte tiendra les partis politiques en haleine dans leur façon de faire campagne et de tenir leurs promesses électorales.

Une autre tendance notable est l'augmentation du taux de participation des électrices. Le taux de participation des femmes est passé d'environ 55% au début des années 2000 à 67% lors des dernières élections, se rapprochant ainsi de celui des hommes. Signe d'une plus grande prospérité économique des femmes, d'une plus grande mobilité sociale et géographique et d'un meilleur accès à l'information, cette évolution a un impact substantiel sur l'approche des politiques et des problématiques relatives aux femmes. Les candidats sortants devront s'adresser à ces nouveaux groupes d'électeurs d'une manière différente qu'auparavant.

La hausse de la participation globale (figure 1) a elle-même été considérée par les spécialistes des élections comme donnant généralement un mandat clair à un seul parti. Cette conclusion est notamment soutenue par les résultats des deux dernières élections.

La prospérité économique

L'Inde a connu une croissance économique sans précédent au cours de la dernière décennie. Comme le montre la figure 2, le PIB de l'Inde a doublé, passant de 1.850 milliards d'USD en 2014 à 3.730 milliards d'USD en 2023, avec un taux de croissance annuel moyen de 7,26%, malgré la contraction en 2020 due à la pandémie. De plus, le PIB par habitant est passé de 1.438 USD à 2.612 USD au cours de la même période.

L'indice Nifty des grandes capitalisations a progressé en moyenne de 14,77% par an au cours de cette période, ce qui a non seulement donné naissance à une nouvelle classe d'investisseurs nationaux, mais également donné un sentiment de prospérité économique.

Par ailleurs, des réformes de grande ampleur ont entraîné des changements structurels dans la vie quotidienne. La numérisation des services publics, la financiarisation de l'épargne (qui se traduit par un nombre croissant de comptes de dépôt et une augmentation de l'allocation en actions des ménages), l'essor des paiements numériques, la stimulation de diverses industries manufacturières et, enfin et surtout, le développement massif des infrastructures, ont donné à la population l'impression que l'Inde est en passe de devenir une économie mondiale de premier plan. Ce sentiment devrait se traduire par des votes pour le parti BJP au pouvoir.

La montée en puissance des réseaux sociaux

Avec une pénétration importante de la téléphonie mobile et les tarifs d'utilisation des données peut-être les moins chers au monde, le temps passé en ligne et l'utilisation d'applications ont proliféré au cours des dernières années. Des applications telles que WhatsApp et Instagram comptent ainsi chacune plus de 500 millions d'utilisateurs dans le pays. Alors que les partis politiques disposent désormais de grandes "cellules numériques" pour alimenter ces canaux en données (informations partisanes), la combinaison des jeunes électeurs et d’influenceurs change à nouveau la donne pour ces partis.

Un autre phénomène distinct est que l'Inde rurale compte désormais plus d'utilisateurs d'Internet que les zones urbaines. Ainsi, la campagne en ligne fera désormais partie intégrante de la campagne électorale et sera probablement aussi importante que les rassemblements physiques qui ont été populaires dans les villes et villages ruraux.

Une multitude de programmes d'aide sociale

Ces dernières années, le gouvernement a lancé plus de 30 initiatives majeures pour de nombreuses catégories de la société. Elles ont porté sur des domaines aussi variés que les logements sociaux, la formation professionnelle, les retraites, l'assurance maladie, les start-ups et l'industrie manufacturière, pour n'en citer que quelques-uns. Ces programmes ont incontestablement amélioré la situation économique d'un grand nombre de citoyens, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Le gouvernement a déjà atteint un taux d'électrification de 100% dans tout le pays et vise à fournir de l'eau potable à tous les foyers d'ici fin 2024. De nombreux programmes liés à l'agriculture, tels que l'assurance récolte, l'enrichissement des engrais et les paiements biannuels, ont également été lancés, afin de soutenir la main-d'œuvre essentiellement agricole.

Une opposition fragmentée

Les partis d'opposition fragmentés de l'Inde ont fait une tentative courageuse pour former ensemble une coalition appelée I.N.D.I.A (Indian National Developmental Inclusive Alliance). Bien qu'elle comprenne presque tous les principaux partis d'opposition, des fissures sont déjà apparues, certains dirigeants régionaux importants ayant choisi de se retirer ou de passer au BJP. Le parti du Congrès national indien, qui a orchestré l'indépendance de l'Inde, a vu sa position presque réduite à celle d'un parti régional en termes de sièges au Parlement.

Alors que le BJP s'est associé à plusieurs autres partis pour former l'Alliance démocratique nationale (NDA), la projection de l'actuel Premier ministre Narendra Modi comme l’incarnation de toutes les politiques et réalisations de ce gouvernement met également en évidence la faiblesse des partis d'opposition, qui n'ont pas de candidat crédible à présenter comme Premier ministre potentiel.

Au cours des cinq dernières années électorales, les marchés d’actions ont généralement généré des rendements positifs dans les périodes précédant et suivant les résultats des élections. La figure 3 montre comment l'indice Nifty 50 s'est comporté 6 mois avant et après le résultat des élections. S'il est vrai que la trajectoire du marché a été déterminée par le contexte économique mondial et national, il est intéressant de regarder le calendrier. En 2004 et en 2009, les marchés mondiaux émergeaient des chocs provoqués respectivement par l'effondrement de la bulle Internet et la crise financière mondiale. Les autres années électorales ont été curieusement marquées par de faibles rendements des marchés au cours de l'année précédente.

Toutefois, les marchés fondent également de nouveaux espoirs sur un gouvernement fraîchement constitué au centre et lui accordent une période de "lune de miel", comme le montrent les rendements après les résultats. Bien que l’indice Nifty 50 ait progressé de 20% en 2023 et que les valorisations relatives par rapport à d'autres marchés mondiaux ne soient pas bon marché, la croissance affichée par l’Inde - par rapport à n'importe quelle autre grande économie - peut justifier la prime de valorisation.

Les élections indiennes seront un exercice administratif gigantesque, les partis politiques se préparant déjà à une campagne électorale épuisante, à la fois en personne et en ligne. La prospérité économique reste le principal enjeu de la campagne et pourrait inciter l'électorat à voter pour la continuité. Des facteurs tels que des jeunes qui votent pour la première fois et des électrices de plus en plus participatives - tous deux ayant accès aux réseaux sociaux - modifient le paysage politique et la capacité des dirigeants à attirer les votes. Une opposition fragmentée est susceptible de conduire à un vote divisé et, dans le système indien, le parti qui obtient le plus de voix (et pas nécessairement une majorité) obtient un plus grand nombre de sièges.

L'Inde reste selon nous une destination d'investissement attrayante. Alors que les valorisations élevées peuvent avoir dissuadé les investisseurs de se tourner vers les actions, la forte prime de croissance continue de justifier des multiples de valorisation élevés. En général, les marchés ont enregistré des résultats positifs lors des années électorales ; la question reste de savoir si les résultats de cette année sont déjà reflétés "dans les prix". Si les perspectives d'investissement en Inde demeurent favorables à moyen et à long terme, compte tenu de la croissance économique soutenue du pays qui continue d'être tirée par la demande intérieure, les investisseurs doivent néanmoins s'attendre à de la volatilité après l’annonce des résultats des élections.

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¹ FTPT est un système électoral dans lequel les électeurs votent pour un seul candidat et le candidat ayant le plus de voix gagne l’élection.